Quand la communication imprimée mène par le bout du nez
28 janvier 2016
Lors des 50 ans de Prod. Comm, célébrés sous le thème des cinq sens dans les locaux de Febelgra et Fedustria, la présentation sur l’odorat a particulièrement fait mouche. L’odorat est le sens le plus puissant que nous ayons et a des effets redoutables sur le comportement d’achat. Nous vous livrons les enseignements de Sébastien Houzé, Secrétaire général de la FEDMA.
Lorsque Sébastien Houzé, Secrétaire Général de la Fédération européenne du Marketing direct et interactif, demande à l’assemblée de Prod. Comm qui utilise l’odorat dans sa communication imprimée, personne ne répond à l’appel. La pratique du marketing olfactif ne semble pas être une chose courante.
Interpelé par la fameuse histoire de la madeleine de Proust, Sébastien Houzé, anciennement directeur du Paper Chain Forum, a étudié il y a plus de vingt ans les neurosciences et le neuromarketing dans sa pratique professionnelle. Le marketing olfactif utilise une odeur particulière pour susciter une émotion chez le consommateur et l’inciter à acheter. Mais Sébastien Houzé s’étonne que cet outil soit encore trop peu exploité dans le secteur des produits imprimés. “À l’heure où nous avons besoin de nous distancier du numérique, nous avons là un support odorant possible que nous n’utilisons pas. Au contraire, l’industrie a fait tout ce qu’elle a pu pour éviter toute odeur ces dix dernières années. Or avec le bon dosage, l’odorat a une réelle influence sur le comportement d’achat”, dit Sébastien Houzé.
Aujourd’hui, même si nous ne nous en rendons pas forcément compte, le parfum et l’odorat sont utilisés dans l’industrie comme instrument de vente. Une odeur de pain frais en grande surface? C’est pour mieux réveiller vos papilles gustatives. L’odeur de cuir dans un magasin de chaussures ou celle caractéristique des nouvelles voitures chez un concessionnaire ne sont pas anodines non plus. Certains commerçants disposent discrètement ou non des diffuseurs aromatiques pour attirer et retenir les clients dans le but de favoriser l’acte d’achat. Certains hôtels usent aussi de ce stratagème avec des parfums d’ambiance pour se démarquer de la concurrence. “Les odeurs ont une grande influence sur nos émotions et ont tendance à court-circuiter nos jugements rationnels”, dit Laurent Renier, chercheur en neurosciences à l’Université de Louvainla-Neuve.
Les données personnelles des clients sont des mines d’or pour les professionnels du marketing qui en usent dans leur stratégie de vente. Mais pour Sébastien Houzé, ces données s’avèrent insuffisantes: “Le cœur de métier de la FEDMA est de récolter un maximum de données personnelles afin de mieux comprendre et connaître les clients. Mais celles-ci ne nous permettent de prédire que 20% des comportements d’un individu. Les 80% restants sont basés sur des notions complètement irrationnelles. Ce sont en fait des expériences de notre passé qui nous font prendre des décisions, que l’on pense peut-être réfléchies. Ces décisions et comportements sont liés aux sens et ont un impact dans des endroits précis de notre cerveau.”
L’odeur, marqueur de comportement
“Contrairement aux autres sens qui doivent passer par un centre de distribution (le thalamus), l’odorat – notre sens le plus primitif – a un accès direct au centre décisionnel (le noyau amygdalien). Celui-ci est aussi le centre de stockage des émotions. L’odorat qui ne peut donc être filtré est un couloir direct vers les émotions et les décisions”, explique Sébastien Houzé. Chaque odeur a un marqueur de comportement. Par exemple, l’odeur de vanille suscite du réconfort, celle de lavande est associée au repos et à la relaxation, tandis que l’odeur de cèdre appelle le luxe, etc. La mémoire et les odeurs sont ainsi intimement reliées. La présence d’une odeur induit directement la réaction pressentie, mais une règle a toujours des exceptions, relativise Sébastien Houzé. Une personne qui associe une expérience ou une émotion négative à une odeur ne répondra pas positivement aux artifices du marketing.
Le fonctionnement cognitif
“Chacun a sa manière d’appréhender les événements, mais nous procédons tous de la même manière”, dit Sébastion Houzé. “En passant par l’analyse systématique sensorielle et le renvoi à l’expérience personnelle. La perception sensorielle est le premier élément d’un processus cognitif qui va déboucher sur un comportement. Le processus d’achat, qui est aussi un comportement, n’y échappe pas. C’est un ping-pong permanent entre sens et mémoire”. Dès lors, nos expériences passées, ancrées dans la mémoire, influencent nos prises de décision.
Dans le monde du marketing, il est communément admis que les consommateurs perçoivent environ 3000 messages publicitaires par jour, venus de toute part (radio, TV, affichage, e-mails…). “Cette estimation est probablement aujourd’hui de l’ordre de 4000 avec l’explosion du numérique. Mais notre cerveau reste pareil : son attention peut être activée par 52 messages par jour. Et sur ces 52 messages, il peut en retenir quatre. Le cerveau filtre en permanence les stimuli et informations et prennent la voie de la poubelle pour la plupart.”
L’IRM en illustration montre les parties du cerveau associées à l’engagement émotionnel. Les zones rouges montrent une plus grande activité du cerveau face à un stimulus. Cette activité est associée à une attention plus importante quand la personne ressent une émotion provoquée par le stimulus. Ce qui suggère que l’individu relie l’information à ses propres pensées et sentiments. Sébastien Houzé explique : “Pour obtenir de l’émotion, un engagement et être mémorisé, les annonceurs et professionnels du marketing doivent activer les zones adéquates du cerveau (en rouge). Si on veut déclencher un comportement et de l’engagement, il faut activer le centre des émotions. On veut être mémorisé? Il faut alors activer la zone de la mémoire. Mais l’accès à la mémoire n’est pas automatique. Il faut d’abord activer la zone rouge de l’engagement.” Les zones rouges traduisent les régions du cerveau qui ont été activées par une information reçue sur support papier. La même information sur support numérique n’a activé que les zones bleues. La tâche bleue au centre du cerveau représente ce qu’appelle Sébastien Houzé “la poubelle”. Cette zone correspond en fait à la position du thalamus qui agit comme filtre de l’information envoyée par le cortex visuel, correspondant à l’autre tâche bleue. Conclusion : “Un annonceur qui veut investir de l’argent pour créer de l’émotion, de l’engagement ou être mémorisé doit pouvoir activer la zone rouge correspondante grâce à une activité multisensorielle. Pour ne pas que le message se retrouve directement à la poubelle, il faut éviter d’être dans les zones bleues. C’est aussi puissant que cela.”
Le marketing sensoriel, un atout pour le print
Qu’est-ce qui provoque un comportement d’achat finalement? Selon le graphique de Sébastien Houzé, une enveloppe odorante incite deux fois plus à l’action qu’un e-mail électronique. “Les chiffres du graphique montrent que les endroits où on a activé plusieurs sens facilitent un plus grand comportement d’achat.” À l’heure où presque tout peut s’acheter sur Internet, Sébastien Houzé pose la question du rôle du support imprimé, du packaging et du point de vente.
“Le consommateur d’aujourd’hui a besoin d’interactivité. Il faut donc se rapprocher du digital en utilisant des techniques qui permettent d’aller du physique vers le numérique telle la réalité augmentée. Mais il faut aussi s’éloigner du digital en capitalisant sur tout ce qui différencie le support papier du numérique. L’industrie du papier et de l’impression a deux éléments à sa disposition : le tactile et l’odorat. Il faut en faire usage ! Chaque rencontre hors digital doit être un moment sensations-mémoire positif pour faire la différence. Cela peut être par exemple un emballage avec un touché ou une senteur subtile qui dispose d’un code QR à l’intérieur.”
Mise en garde
Vendre efficacement ne signifie pas tromper le consommateur. Sébastien Houzé : “Si on peut parler de manipulation douce, il faut rester neutre et sincère. Si vous survendez un produit en trafiquant votre approche, le client qui s’en aperçoit sera déçu. L’expérience sera dès lors immanquablement associée à une expérience négative et vous n’aurez plus jamais la chance de faire tester votre produit, à jamais associé à un mauvais souvenir. Passer par une approche sensorielle pour renforcer une émotion positive, oui, pour masquer un défaut du produit non. Vous n’aurez plus jamais de seconde chance.”
Aurelia Ricciardi
La mémoire de l’être humain
L’individu retient:
1% de ce qu’il touche
2% de ce qu’il entend
5% de ce qu’il voit
35% de ce qu’il sent
Source: Université Rockefeller (News York, 2013).
75% de toutes les émotions seraient suscitées par les odeurs (Datamonitor). Le mécanisme de l’odorat sollicite la zone du cerveau la plus proche de celle qui déclenche le plaisir. Et, après le besoin, le plaisir est le principal moteur d’achat. C’est pourquoi de nombreux magasins mettent en place des diffuseurs olfactifs. Un exemple flagrant est celui d’Abercrombie et Fitch.