Nouvelles options possibles grâce au Cloud
22 décembre 2016
Quelque 10000personnes ont participé à l’événement annuel Adobe Max, fin octobre aux États-Unis. L’univers du géant du logiciel tourne de plus en plus autour des applications Web et audiovisuelles. L’âge d’or de la PAO dans l’industrie graphique semble révolu. Il reste pourtant de multiples bonnes raisons de se tenir au fait des évolutions des programmes Adobe, présents dans les ordinateurs de pratiquement toute entreprise graphique ou agence média.
L’Adobe Max accueille chaque année des milliers de créatifs professionnels accourus du monde entier. Le congrès, qui s’est tenu cette fois à San Diego, trouve son origine dans les événements organisés à partir de 2003 par Macromedia. Ce développeur de logiciels Web, tels que Flash et Dreamweaver, avait été repris deux ans plus tard par Adobe, après quoi le rendezvous s’était perpétué sous le nom de “Max”.
Adobe y a vu des années durant les conditions favorables pour présenter les nouvelles versions de sa Creative Suite, l’offre qui regroupe l’ensemble de ses programmes applicatifs. À l’époque, le congrès était encore truffé de démonstrations techniques et axé sur un public assez pointu. Le but était en effet de faire en sorte que le visiteur se procure le plus rapidement possible la version la plus récente afin d’en tester au maximum toutes les nouvelles fonctions.
Depuis qu’Adobe s’est mué de vendeur de coffrets de DVD en fournisseur de logiciels via le “Cloud”, le caractère d’Adobe Max a lui aussi évolué. Un abonnement à un logiciel Creative Cloud donne en effet droit à toutes les mises à jour au fur et à mesure de leur sortie. La promotion des nouveautés a de ce fait pris moins d’importance.
Adobe s’est, ces dernières années, davantage focalisé sur le caractère créatif de son groupe-cible, au détriment des technophiles. Un changement de cap qui s’explique par les nouvelles ambitions du groupe. Alors qu’il s’agissait surtout auparavant de promouvoir et d’expliquer techniquement le programme d’animation web Flash, cette dimension est passée au second plan. Steve Jobs, chez Apple, a décidé en 2010 de ne pas assurer la prise en charge de Flash dans le système d’exploitation des iPhone et iPad. Les possibilités du standard HTML5 offraient en outre une bonne alternative audit Flash, lequel a d’ailleurs rapidement périclité par la suite.
Le déclin de Flash fut un rude coup porté à Adobe, qui sut toutefois rebondir en introduisant le modèle d’abonnement via le Cloud. En décidant d’arrêter totalement la vente de licences, Adobe a pris un gros risque, mais qui s’est avéré payant. La plupart des utilisateurs ont aujourd’hui moins de mal à l’idée de devoir s’acquitter d’un montant mensuel pour avoir accès au logiciel. C’est ainsi par millions qu’ils ont fait le pas en peu de temps vers le nouveau modèle d’informatique dématérialisée.
Tactiles natifs
Pour Adobe, le Cloud offre de plus en plus d’angles d’attaque en vue d’une exploitation des données disponibles. Le logiciel est peutêtre installé sur les machines de l’utilisateur, mais un nombre croissant de ses composantes s’exécutent “dans le nuage”. Exemple: la bibliothèque, dans laquelle le graphiste conserve ses palettes chromatiques, ses icônes, ses styles de calque, ses pinceaux et bien d’autres outils et instruments. Le contenu de cette bibliothèque peut être partagé avec d’autres par l’intermédiaire du Cloud, ce qui rend possible un travail en équipe.
En outre, tout ce qui est prestation de services de la part d’Adobe se déplace de plus en plus vers le Cloud. Lorsque l’on travaille avec des plates-formes moins bien dotées en puissance de calcul, comme des smartphones ou des tablettes, il est intéressant de pouvoir stocker ses illustrations quelque part sur le Net. Les opérations ne sont exécutées que sur un aperçu de l’image. Adobe développe de plus en plus d’applis qui fonctionnent de cette manière.
L’événement de l’année dernière avait mis fortement l’accent sur les applications mobiles. Avec l’arrivée de l’iPad Pro et de la Surface Pro (de Microsoft), on s’attendait à ce que les designers travaillent de plus en plus avec des écrans tactiles. Une prévision qui n’a pas été clairement confirmée à San Diego, qui accordait en tout cas beaucoup moins d’attention au travail avec des applications mobiles. Peut-être la génération actuelle des professionnels créatifs n’est-elle pas encore prête à dire adieu au desktop. Passer avec armes et bagages à l’iPad pour apprendre à se servir de Photoshop dans cet environnement prend du temps, et cela vaut aussi pour les “digital natives”. Une nouvelle génération de “touchscreen-natives” est donc attendue.
Le travail sur les fichiers dans le Cloud reste malgré tout le fer de lance de l’éditeur, ainsi qu’il ressort de l’introduction du Projet Nimbus, toujours en phase expérimentale. Celui-ci s’annonce comme un remplaçant potentiel de Lightroom, logiciel dédié aux photographes. Nimbus stocke tous les fichiers exclusivement dans le Cloud et il peut être utilisé sur n’importe quel type d’écran. L’idée est que l’utilisateur puisse travailler sur ses images où qu’il se trouve.
Plate-forme intelligente
Il s’amasse de plus en plus de données de contenu, sur lesquelles Adobe peut lâcher ses algorithmes d’analyse. Qu’il s’agisse d’ailleurs du Creative Cloud, du Marketing Cloud (pour les pros du marketing) ou du Document Cloud (pour l’industrie documentaire). En plus donc de récolter des informations sur les professionnels créatifs, Adobe capte aussi celles des systèmes de marketing et de gestion des documents. Avec des possibilités intéressantes en perspective.
Celles-ci sont mises à profit par Adobe par le truchement d’une nouvelle plate-forme informatique appelée Sensei. Sensei propose à l’utilisateur de trouver son bonheur dans toutes sortes de solutions intelligentes basées sur l’analyse de données et de contenus. Beaucoup d’attention a été accordée pendant le Max aux possibilités de recherche intelligentes appliquées à la propre banque de données d’images, Adobe Stock. En faisant une sélection simultanée de plusieurs images dans Photoshop, l’utilisateur reçoit, comme résultat de sa recherche, des photos ressemblant à la combinaison de celles-ci. Il ne doit donc plus formuler une requête texte exacte – des bouts d’images suffisent.
Adobe, qui avait déjà mis le paquet sur Stock l’an dernier, semble maintenir résolument le cap. Avec Stock, l’utilisateur Photoshop bénéficie de toutes sortes d’avantages par rapport aux sites de banques d’images standard. Ainsi, il est possible de travailler sur des aperçus des images, et de n’appliquer qu’ensuite les modifications au matériel acheté. Ce qui est bien pratique pour l’utilisateur désireux de faire approuver d’abord une esquisse de son projet par le client, sans avoir à payer d’avance pour les photos nécessaires. D’autant que s’il les achète sur d’autres banques d’images, il devra faire deux fois le travail. Stock lui offre en outre la possibilité de proposer ses propres créations à la vente pour des tiers.
Piloté par Sensei, Stock va encore offrir de multiples autres avantages à l’avenir. Il sera ainsi bientôt (probablement) possible de rechercher des photos avec quelques mots-clés et une mise en page. L’agence de presse internationale Reuters propose elle aussi sa collection impressionnante de photos et de vidéo via Stock. Un concurrent sérieux donc pour des géants des banques d’images tel que Getty Images.
L’influence de Sensei ne cesse de s’étendre. À présent qu’Adobe a également son mot à dire dans la manière dont les utilisateurs emploient ses logiciels, il lui devient possible de faire des suggestions. Quelqu’un qui travaille de manière désordonnée avec Photoshop, parce qu’il n’en connaît pas toutes les subtilités, se voit proposer des indications de nature à le rendre plus efficace. En théorie, on peut envisager que Creative Cloud dispense des conseils sur le choix de la bonne couleur, de la photo juste ou de la manipulation la plus adéquate dans Photoshop. Ce qui, en plus de faire gagner du temps dans l’apprentissage du logiciel, permettrait de faire remonter à la surface des fonctions oubliées avec les années, voire jamais découvertes. Le potentiel de Photoshop en particulier n’est déjà aujourd’hui exploité que par une faible minorité de ses utilisateurs.
À faire
Les progiciels Adobe les plus traditionnels, comme InDesign et Illustrator – car c’est toujours Photoshop qui est mis en avant – ont été plutôt été les parents pauvres de l’événement. Vu l’énorme attention portée aux techniques Web et audiovisuelles, le programme de mise en page est un peu relégué au second plan. À défaut d’être sexy, les nouvelles fonctions n’en valent pas moins la peine d’être mentionnées. Il semble que les développeurs aient enfin décidé d’aller au bout de leur vieille “to do-list”.
Ainsi, InDesign offre à présent la possibilité d’étendre les notes en bas de page sur plusieurs colonnes. Les notes en bas de page, les registres alphabétiques et les autres éléments fixes de documents structurés, comme les catalogues, les revues scientifiques et les ouvrages de référence, étaient jusqu’ici hui l’apanage de Framemaker. Ce logiciel reste pris en charge techniquement mais il n’a plus la priorité depuis belle lurette. InDesign semble lentement mais sûrement reprendre à son compte le rôle jusqu’ici dévolu à Framemaker.
Les possibilités de travailler avec des polices OpenType étaient également peu exploitées, simplement parce que la fonctionnalité restait maintenue dans l’ombre. Dans la nouvelle version, un “O” s’affiche en-dessous lorsqu’une police OpenType est employée dans un bloc de texte sélectionné. Un clic sur celui-ci fait apparaître la liste des possibilités. La plus belle – mais qui est hélas peu usitée – est celle des “alternatives contextuelles”. Celle-ci permet d’appliquer des ligatures différentes à des combinaisons de lettres identiques en différents endroits du texte.
Un nouveau menu dédié à la création de flèches offre la possibilité de composer rapidement toutes sortes d’expressions graphiques.
L’accent dans Photoshop est surtout mis sur les possibilités à venir, comme les fonctions de recherche intelligente dans Stock. Dans InDesign (et Illustrator) aussi, où les possibilités typographiques sont par ailleurs étendues. OpenType a droit à une nouvelle vie dans Photoshop également avec les polices OpenType SVG. Ces caractères peuvent comporter plusieurs couleurs ou dégradés, par exemple. Plusieurs symboles sont disponibles pour chaque lettre. Deux polices OpenType SVG sont fournies pour une nouvelle installation, dont EmojiOne. Celle-ci permet de créer toutes sortes d’icônes, que l’on peut faire changer de couleur et de forme en combinant différentes lettres.
Travail d’équipe
Depuis qu’Adobe commercialise son logiciel créatif sous forme de suite intégrée, l’utilisateur a la possibilité, en plus des applications bien connues axées sur l’impression, de s’essayer à la conception de documents destinés à une publication en ligne ainsi qu’à la création audio et vidéo. Les différents types d’abonnement évoqués plus haut offrent la possibilité de se cantonner à une seule application ou d’opter pour une combinaison de Photoshop et de Lightroom. Celui qui se laisse séduire par le tiercé habituel de Photoshop, InDesign et Illustrator a même droit gracieusement à toutes les autres applications.
Aujourd’hui que la branche graphique remonte de plus en plus vers le haut de la chaîne, pour se profiler davantage comme un secteur de prestation de services, il serait en fin de compte regrettable de n’exploiter qu’une partie des applications. C’est le cas en particulier pour les agences de publicité et de communication, appelées à desservir de plus en plus de canaux pour leurs clients.
Des démonstrations ont ainsi été données pendant le Max sur la manière dont le logiciel Premiere Pro – utilisé notamment pour les grandes productions hollywoodiennes – permet de diffuser une vidéo sur différents médias sociaux d’un seul clic. Les formats vidéo et les options de stockage représentent en effet un casse-tête permanent pour les utilisateurs. Un seuil qui disparaît donc dans la toute dernière version.
La bêta de XD permet d’élaborer une version d’essai d’un site Web mobile en collaboration avec un donneur d’ordre. Grâce à la fonctionnalité Cloud, le donneur d’ordre peut assister au processus de conception et formuler directement des commentaires. De quoi éviter toute mauvaise surprise à la livraison.
Le travail en équipe sur des projets complexes, comme cela se passe avec XD, offre des perspectives d’avenir pour l’utilisation de logiciels plus conventionnels tels que Photoshop, InDesign et Illustrator. Adobe a bataillé des années durant pour parvenir à offrir une bonne solution au niveau du workflow. Alors que le concurrent QuarkXpress a introduit voilà bien longtemps des systèmes mettant en place une solution faîtière, fédérant l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, Adobe n’avait jusqu’ici proposé que des solutions plus modestes pour la gestion des versions et la collaboration à distance. Des applications comme Version Que et Bridge n’ont jamais été adoptées à grande échelle par les utilisateurs.
La solution globale pour les équipes a toutefois fini par devenir accessible dans le Cloud, et ce sur un mode beaucoup plus flexible qu’une collaboration via le serveur de l’entreprise. Comme c’est Internet qui assure à présent la liaison entre les utilisateurs, il devient possible d’ouvrir l’accès au projet aux donneurs d’ordres ou à des intervenants temporaires. Il sera intéressant de voir comment Adobe va développer ces possibilités à l’avenir.
Alex Kunst
Quoi de neuf du côté de Creative Cloud?
Au cours de la conférence de presse, Mala Sharma ne s’est pas épanchée sur le nombre d’utilisateurs de la plate-forme recensés à ce jour. La numéro un en charge de la production et du marketing de Creative Cloud a préféré évoquer la hausse du chiffre d’affaires et un recours croissant à l’offre de services.
En mai de cette année, alors que l’on parlait encore du nombre d’utilisateurs, le compteur indiquait presque 7millions d’abonnés. D’autres sources faisaient état de 8 millions en septembre. La progression jusqu’ici a été plus rapide que prévu.
Et si elle est effectivement ce qu’elle est, on peut s’étonner qu’Adobe ne souhaite pas s’exprimer sur le nombre d’abonnés. Encore qu’il y ait une logique. Adobe dénombre environ 35 millions d’utilisateurs pour ses applications mobiles (dont beaucoup sont gratuites). Ceux-ci contribuent également à la valeur représentée par le groupe. Le fichier de la clientèle payante affiche toutefois un profil relativement différent. À côté de l’abonnement “entreprise”, par lequel une organisation acquiert d’un seul coup un certain nombre de licences pour tous ses collaborateurs, on distingue quatre autres formules.
On s’attend toutefois à ce que le nombre d’utilisateurs continue bel et bien d’augmenter. Le jour où il ne sera plus possible d’ouvrir de nouveaux fichiers avec l’ancien logiciel se rapproche inexorablement. Il reste encore quelques millions d’utilisateurs d’une licence Creative Suite, qui feront alors probablement le pas vers le modèle Cloud.