Le jet d’encre pose un jalon en 2016

22 décembre 2016

Imaginez: de retour à Düsseldorf une bonne année et demie plus tard. Un vin chaud à la main, assis en terrasse sous les frondaisons des châtaigniers, dans l’ambiance enluminée du marché de Noël de la Königsallee. Immanquablement, la conversation glisse sur la Drupa. Et sur le jet d’encre, fatalement. Que reste-t-il de toutes ces primeurs et grandes tendancesdu salon? Un dernier récapitulatif.

© Noebse [CC BY-SA 3.0], par Wikimedia Commons)

La Drupa a fêté ses 65 ans cette année. Coïncidence ou non, voilà 65 ans précisément que Siemens obtenait un brevet sur la première presse à jet d’encre à alimentation ininterrompue. Un anniversaire auquel cette 16e édition du salon professionnel n’aura guère prêté attention, l’organisation préférant de loin regarder vers l’avant: “Touch the Future”. La technologie jet d’encre jubilaire a malgré tout été fêtée en grande pompe dans les travées, avec de nouvelles machines, de nouveaux fournisseurs, des marchés émergents et des applications inédites.

Le jet d’encre a-t-il remporté la bataille de l’industrie graphique ?

Il faudra encore un peu de temps avant que le jet d’encre n’occupe une position dominante comparable à celle conquise par l’offset au détriment de la typo dans les années 60. 2016 n’en représente pas moins un jalon important, car l’ensemble du top 10 des plus gros exposants à la drupa en termes de mètres carrés de stand – du numéro un HP (qui a détrôné Heidelberg) au numéro dix Bobst – a aujourd’hui du jet d’encre dans son assortiment. Ce qui était d’ailleurs aussi le cas d’une longue liste de fournisseurs présents après eux. Après des tentatives en 2004 et 2008, le jet d’encre se voit en tout cas attribuer une solide position dans le monde graphique : plus personne ou presque ne doute du potentiel de cette technologie d’impression pour l’avenir.

Comment les constructeurs de presses offset réagissent-ils à ce développement ?

Ils y contribuent activement. Avec comme exemple le plus frappant : Heidelberg. Voici quatre ans, le constructeur allemand lorgnait encore du côté de Landa, envisagé comme partenaire possible pour le développement d’une “presse offset numérique”. Mais avec un nouveau numéro un aux commandes, Heidelberg a malgré tout fait le choix du jet d’encre en 2014. C’est ainsi qu’en moins de deux ans, une presse feuille jet d’encre à part entière de format B1 fut mise au point en collaboration avec Fujifilm : la “Primefire 106”. Cette presse sept couleurs destinée au marché de l’emballage était au cœur de la présentation d’Heidelberg à la drupa. Les premières installations devaient avoir lieu en 2017.

KBA avait déjà attiré l’attention en 2012 avec le lancement d’une rotative jet d’encre RotaJet, plateforme toujours en cours de développement. L’annonce d’un partenariat avec Xerox en vue de la construction conjointe d’une presse feuille modulaire et hybride offset/jet d’encre de format B1 a été accueillie cette année comme une véritable surprise. Cette “VariJet 106” devrait être présentée déjà en 2017.

Xerox comme partenaire jet d’encre, dites-vous ?

En effet. Lors de la Drupa d’il y a quatre ans, Xerox ne semblait pas porter d’intérêt particulier au jet d’encre, mais un an plus tard, la société rachetait la Française Impika et entreprenait de combler son retard. Xerox revendique depuis le plus large assortiment en jet d’encre de toute l’industrie : la Trivor 2400 (rotative jet d’encre compacte) et la Brenva (presse feuille B3) sont encore venues s’y ajouter au salon.

D’autres collaborations offsetjet d’encre à épingler ?

Manroland web systems a donné une démonstration intéressante, fruit de l’intégration d’une presse jet d’encre polychrome Kodak Prosper complète dans une ligne de production en lieu et place de quelques têtes Kodak séparées. L’offset rotatif, le jet d’encre rotatif et la finition rotative forment de cette manière un système fermé, dans lequel il est possible de combiner l’impression d’images statiques et variables à la vitesse de production nominale, par exemple dans un journal ou un magazine. Manroland prévoyait de démarrer une première installation bêta de cette configuration en Europe vers la fin de l’année.

Komori également travaille à un rythme soutenu à l’extension de sa gamme de presses numériques. La presse feuille jet d’encre B2, construite en collaboration avec Konica Minolta et dont le prototype avait été montré à la Drupa 2012, est désormais prête pour la pratique. Elle utilise des encres UV, ce qui lui permet non seulement d’imprimer sur un large assortiment de supports, mais également de produire des imprimés directement secs.

Komori pouvait par ailleurs montrer un prototype cette année encore : l’Impremia NS40, presse feuille B1 à technologie jet d’encre nanographique de Landa. Une dizaine de lettres d’intention concernant l’achat d’une telle presse ont déjà été signées à la drupa, notamment par le spécialiste belge du livre d’art Cassochrome. Komori attend toutefois la phase test chez Landa pour commercialiser la machine, au plus tôt en 2018.

À propos de Landa : la “nanographie”, c’est du vent, ou… ?

Contrairement à la situation d’il y a quatre ans, le public du salon pouvait cette fois rentrer chez lui avec des feuilles imprimées sur des machines Landa. Seule condition, communiquer d’abord ses coordonnées de contact. Les impressions furent évidemment directement examinées sous un œil critique. Alors que l’un se dit époustouflé par l’intensité des couleurs, l’autre voit malgré tout des lignes ou l’un ou l’autre écart. Pour certains, les feuilles semblaient toutes recouvertes d’une couche de vernis, ce qui ne permettait pas, par exemple, de tester la résistance aux éraflures. On mettait parfois même ouvertement en doute le fait que les impressions aient été produites sur place – Yishai Amir, le CEO de Landa Corp., a toutefois assuré par la suite au magazine professionnel Printing Impressions que cela avait bien été le cas. Il a par ailleurs concédé que la qualité d’impression pouvait et allait encore être relevée, dans la mesure où le nouveau système d’inspection AQM (Active Quality Management) n’était pas encore actif sur les presses montrées au salon. Dans son commentaire sur les performances de Landa, Bernard Niemela, rédacteur-en-chef de la revue Deutscher Drucker, n’a pas été particulièrement enthousiaste : “La promesse qui avait été faite de montrer des machines capables de fournir une qualité offset n’a pas été tenue. Quant à savoir si la nanographie pourra, comme promis également, être moins chère que l’offset, on reste dans l’expectative – aucun chiffre ne semble disponible, même sur demande expresse.” Niemela fait toutefois le constat qu’il existe déjà bel et bien aujourd’hui des fournisseurs en mesure de livrer une qualité offset avec des presses numériques : “Il est un fait que les échantillons de Landa ont davantage épaissi le doute sur ses machines qu’ils ne l’ont levé.”

L’assurance de Landa ne semble en tout cas en rien entamée. Le jour d’ouverture de la Drupa, l’homme a annoncé trois sites en bêta-test (deux en Allemagne et un aux États-Unis), ainsi que des partenariats avec le géant graphique américain Quad/Graphics et Cimpress, qui a l’intention d’installer 20 presses Landa.

Quelles ont été entre-temps les évolutions dans le domaine du toner ?

L’impression à toner conserve un sérieux avantage par rapport au jet d’encre : elle peut s’appliquer à un éventail beaucoup plus large de supports graphiques. De plus, la technologie a largement fait ses preuves dans l’industrie depuis ses débuts en 1993. Elle semble depuis avoir un peu atteint le sommet de ses possibilités, mais des innovations continuent malgré tout de voir le jour.

Ricoh connaît, par exemple, un franc succès avec le cinquième groupe pour vernis ou toner blanc sur la Pro C7110, complétés à la Drupa par un toner rose fluo pour les effets spéciaux (lui-même rejoint par un jaune néon le mois dernier). Xerox a étendu le gamut de l’iGen5 avec un cinquième groupe d’impression, les CMJN pouvant à présent être renforcés par un toner orange, vert ou bleu. Kodak est allé encore un pas plus loin avec sa Nexpress cinq couleurs, en annonçant une nouvelle version (pour la mi-2017) avec laquelle l’utilisateur pourra déterminer lui-même la séquence d’encrage des cinq groupes toner. Il sera ainsi possible, par exemple, de commencer par le blanc en première couleur sur un papier foncé.

Sur la scène du “drupa cube”, on a eu droit à un débat animé “Toner vs Inkjet” entre Filip Weymans (Xeikon) et Mark Stephenson (Fujifilm), lesquels ont fait feu d’arguments sur la qualité, l’espace chromatique, la diversité de supports, les coûts d’exploitation et la fiabilité de leurs technologies respectives. Le public a fini par déclarer Stephenson vainqueur (“Le toner est bientôt sur la touche”). Weymans a aussi dû convenir que certains segments conviennent mieux au jet d’encre, comme les boîtes carton, la signalétique et la PLV : “Naturellement, nous partagerons volontiers le marché avec d’autres technologies.”

Une alternative n’avait-elle pas aussi été proposée par Xeikon ?

Si, en effet : Xeikon planche encore toujours sur le perfectionnement de sa presse à toner liquide. La “Trillium One” a ainsi bien pu être exposée à la Drupa et des échantillons d’imprimés ont été distribués, mais les premières machines-tests ne seront déployées sur le terrain que l’année prochaine.

Puis-je encore actuellement faire confiance à l’offset ?

L’offset reste un excellent choix tant que l’on ne travaille pas avec des données variables. Pour ce qui est de la vitesse, les presses ont pratiquement atteint leur plafond, mais des cadences supérieures n’auraient guère d’utilité. Les machines continuent en effet à gagner en productivité. À côté de toutes les avancées en termes d’automatisation, l’introduction de la nouvelle technologie UV (UV basse énergie et LED UV) a induit un nouvel élan : l’imprimé sortant directement sec peut être immédiatement façonné. La quasi-totalité des constructeurs de presses proposent cette possibilité.

Devrons-nous attendre la prochaine Drupa pour voir comment les choses évoluent ?

L’organisation du salon avait voulu passer à une programmation trisannuelle, eu égard justement à la rapidité des nouveaux développements. Elle a toutefois reporté ses plans à 2020 sous la pression des exposants. Pour ceux qui, dans l’intervalle, voudraient malgré tout se tenir au fait des évolutions du jet d’encre, il y a, par exemple, les Hunkeler Innovationdays, qui se tiennent tous les deux ans. Du 20 au 23 février, tous les acteurs en vue du marché sont présents au centre des expositions de Lucerne. Si initialement, Hunkeler axait surtout cet événement sur les documents transactionnels, on assiste précisément à un essor des applications graphiques dans ce secteur ces dernières années.

Une bonne occasion peut-être de dresser un état des lieux tout en dégustant une fondue suisse dans un établissement de la Vieille ville de Lucerne.

Ed Boogaard