Print4.0 et tout ce qui s’ensuit
22 décembre 2016
La Drupa est décidément le salon des grands développements. En tant que catalyseur du standardJDF, le rendez-vous de Düsseldorf avait montré la voie non seulement à son propre marché, mais aussi à l’ensemble de l’industrie manufacturière. Élevé au rang de mégatendance de l’édition2016, le “Print 4.0” y avait toute sa place. De quoi augurer d’un avenir prometteur pour le secteur graphique.
L’Ipex n’a plus le statut de pendant britannique de la Drupa, et c’est un peu dommage. Ce fut pourtant l’usage pendant tout un temps : les nouveaux développements et les prototypes étaient montrés à Düsseldorf, le visiteur sachant qu’il pourrait voir le produit fini à l’œuvre à Birmingham, deux ans plus tard. L’Ipex n’est plus en mesure de tenir ce rôle et il nous faut désormais attendre les lancements de produits des différents fabricants et constructeurs – voire patienter jusqu’à la Drupa suivante.
Cette année, l’organisateur de la Drupa avait mis les exposants encore un peu plus au défi en annonçant le Print 4.0 comme mégatendance de la nouvelle édition. En temps normal, les salons cherchent à faire leur publicité avec des thèmes et des slogans de nature à contenter tout le monde, et qui donc ne veulent pas dire grand-chose dans les faits. Touch the future était l’une des accroches de la Drupa cette année, qui ne risquait de froisser personne ni d’apprendre grand chose au visiteur.
Avec le Print 4.0, en revanche, Drupa évoquait nommément une tendance dans laquelle l’industrie peut actuellement résolument se reconnaître. L’expression renvoie au très branché Industrie 4.0, qui fait à son tour référence à l’Internet des objets. Ce dernier fait un peu plus la clarté sur l’intérêt de ce développement, car la curiosité des consommateurs, et nous en sommes tous, se voit depuis un petit temps titillée par la promesse du frigo intelligent, par exemple. Cet appareil bourré de capteurs, de caméras et de logiciels peut, entre autres, rendre compte de la durée de conservation des denrées qu’il renferme. Ou encore nous renseigner sur l’état de nos réserves pendant que nous faisons nos courses.
Productivité du travail
La rétroaction d’une machine à destination du système d’information de gestion (MIS) est un principe connu depuis un certain temps dans l’industrie graphique. Une presse numérique peut ainsi signaler à l’avance qu’il va falloir remplacer une cartouche de toner ou recharger du papier. Ce qu’une presse d’imprimerie conventionnelle est théoriquement capable de faire aussi. Les données du prépresse sont envoyées automatiquement à la fois à l’atelier et au MIS. Dans le monde du Print4.0, la communication dans l’ensemble de l’environnement de production s’effectue entièrement en mode numérique. La plupart des entreprises n’en sont pas encore là, mais on progresse pas à pas. Il faut d’ailleurs y voir l’un des facteurs qui a fait tellement augmenter la productivité des travailleurs dans notre secteur.
Le concept d’Industrie 4.0 va toutefois encore plus loin. Un bel exemple peut se trouver dans le monde de la logistique, où l’on a de plus en plus souvent recours à des élévateurs et autres engins transporteurs entièrement automatisés. On trouve depuis des systèmes dans lesquels un petit chariot transborde sa charge sur un engin plus gros. Les machines interagissent sans fil et sans intervention humaine. De tels modèles exigent la mise en place d’un réseau intelligent et étendu, qui cartographie l’ensemble des variables.
Nécessité pure
Si tous les participants à la Drupa ne s’étaient pas immergés dans le Print 4.0, l’annonce de ce thème par l’organisation du salon avait donné le ton. Les entreprises graphiques modernes sont confrontées aux très capricieuses lois de l’offre et de la demande. L’élaboration d’un planning pour le plus long terme n’est plus à l’ordre du jour pour la plupart d’entre elles. Le client est demandeur de délais courts, de quantités réduites et d’une diversité accrue. Le volume est à dégager dans le nombre de commandes, et plus dans les chiffres de tirage. On attend de l’imprimeur qu’il soit à la fois rapide dans ses livraisons, bon marché et fiable.
Face à de telles conditions de marché, le Print 4.0 devient une pure nécessité pour un constructeur de presses, s’il veut éviter que ses machines ne deviennent impayables. Toute composante non automatisée de la production au sein de l’imprimerie devient un danger potentiel pour sa pérennité et exerce une pression sur les marges. Dans un marché où les grandes commandes d’hier ont fait place à une multiplication de commandes plus petites, il n’y a d’autre solution que d’abaisser radicalement les coûts. Cette nouvelle réalité implique aussi des changements de travaux plus fréquents sur la presse, moments qui doivent être rendus les plus brefs possibles. Les constructeurs l’ont bien compris.
Défi commun
Dans un certain sens, la Drupa a ramé à contre-courant ces dernières années en désignant systématiquement comme président de son comité organisateur le numéro un d’un grand constructeur de presses allemand. Depuis quinze ans environ, ce sont en effet surtout les fabricants de machines numériques qui tiennent le haut du pavé. L’Ipex avait emprunté une voie plus logique en désignant le CEO de Canon, David Presskett, à la présidence de son édition 2014. Ironie du sort, la sauce n’a pas pris. Les grands exposants se sont désistés les uns après les autres et le salon n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même. Peut-être la concurrence entre les producteurs de machines numériques est-elle trop vive pour que l’on puisse attribuer la présidence d’un comité organisateur à l’un d’entre eux.
Les constructeurs de presses d’imprimerie en revanche ont à faire face à un défi commun, à savoir la contraction de leur marché. À force de développer des machines automatisées offrant des temps de calage toujours plus courts, leurs solutions commencent à ressembler de plus en plus à des presses numériques. Et c’est ainsi que Claus Bolza-Schünemann, CEO de KBA et président du comité d’organisation du salon, en est venu à proposer le Print 4.0 comme thème majeur de la Drupa.
L’adieu au serveur
Lors de la Drupa, c’est surtout Heidelberg qui s’est profilé comme le champion du Print 4.0. La conduite automatisée de la presse, le changement de travaux presque totalement automatique, la commande autonome de nouveaux consommables et le partage des infos machine via le Cloud ont fait de la Speedmaster XL 106 exposée un véritable cas d’exemple. La démo était surtout destinée à sonder les réactions du public et à faire un étalage des possibilités.
Le progrès est en marche et rien ne pourra l’arrêter dans les années à venir. Un investissement dans de telles machines hors de prix pourra en effet toujours se récupérer dans la mesure où elles permettent de traiter un maximum de commandes avec le minimum de main-d’œuvre possible. Dans un futur proche, les développements vont devoir passer la vitesse supérieure car les démonstrations données à la Drupa – et qui vont déjà trop loin pour beaucoup – restent insuffisantes pour l’imprimerie 4.0. Dans cet environnement de production, le parc des machines réagit de lui-même aux fluctuations de l’offre et de la demande. En cas de panne, la presse cherche même à établir le contact avec le technicien d’entretien, pendant que le réseau s’occupe de mettre en place un itinéraire alternatif pour le flux de production. Les performances des machines sont en permanence mises en balance et le planning est complété par le MIS.
Et tout cela peut se réaliser par une informatique dématérialisée dans le Cloud. Le fait que, sur le principe, tout retour d’information en provenance de la production s’effectue via le Web constitue un formidable stimulus pour l’Internet des objets. Les machines, les sites de production et même les clients profiteront bientôt tous des possibilités de services qu’engendrera l’échange des données en ligne. L’analyse des big data fera en sorte que les entreprises de production seront pilotées par des systèmes auto-apprenants. L’installation de logiciels sera très bientôt une tâche révolue. Les programmes s’exécuteront tous dans le Cloud et les mises à jour et adaptations s’effectueront automatiquement et à distance. Tous les écrans d’une entreprise affichent les informations via une console. Les PC et le serveur de réseau peuvent partir aux encombrants.
Il ne nous faudra bientôt plus sortir de chez nous pour savoir comment cela se passe à l’atelier. Alangui sur son divan, le collaborateur de demain pourra suivre l’état d’avancement de la production sur son smartphone. Encore un avantage du “cloudcomputing”.
Les constructeurs et les développeurs de logiciels voient de moins en moins l’utilité d’à chaque fois réinventer la roue. Les matériels et les logiciels sont de plus en plus souvent conçus sur une base modulaire. Il devient ainsi possible de combiner des applications diverses. Les différentes composantes s’assemblent comme des briques Lego. L’exemple le plus clair est à trouver du côté des énormes presses inkjet issues de collaborations entre constructeurs offset et jet d’encre.
Le développement du XJDF, petit frère du standard JDF, va faire en sorte que, dans les années à venir, la communication numérique au sein de la chaîne de production puisse s’effectuer avec toujours plus de fluidité et offrir encore plus de flexibilité.
Solutionneur
La Drupa fut l’occasion de découvrir quelques beaux échantillons d’une automatisation poussée. Les équipements les plus en phase avec la tendance du Print 4.0 étaient toutefois les presses numériques. Ces machines sont par nature au centre d’un flux d’information digital et bidirectionnel. Il n’est par ailleurs pratiquement pas possible d’être rentable dans l’environnement numérique sans recourir à l’automatisation. On ne peut ainsi pas se permettre d’affecter un gestionnaire de commandes à la production d’un tirage en seulement 20exemplaires. Le chiffre d’affaires est trop mince et les délais tout simplement trop serrés. Le devis et le calcul du prix de revient réel, le traitement de la commande et celui du fichier, toutes ces opérations doivent s’effectuer de manière entièrement autonome.
Le plus beau est qu’il n’est pas du tout nécessaire de mobiliser quelqu’un pour enchaîner de telles commandes. Les machines sont conçues pour pouvoir gérer automatiquement des files d’attentes de travaux.
Le Print 4.0 ne fait que rendre l’industrie plus belle. Le rôle du collaborateur sera de plus en plus celui d’un solutionneur, d’un contrôleur et d’un prestataire de services. Il ne devra plus intervenir que si un imprévu survient dans le système. Le travailleur humain reste pour l’instant irremplaçable, certainement au niveau du façonnage. L’impression variable se prête de plus en plus à l’automatisation, et il en va de même pour la finition. Ce dernier stade reste malgré tout le poste clé du budget. C’est au niveau de la finition que surviennent la plupart des variantes et c’est là que l’on investit en dernier en machines et en logiciels. Autant de raisons de se tourner vers la Drupa2020, qui nous dira dans quelle mesure le secteur aura été aidé par le Print4.0.
Alex Kunst