L’impression UV pratiquement impossible

22 février 2018

Un avenir grandiose est promis au jet d’encre en tant que technique d’impression. Le procédé, disent les protagonistes, associe la rapidité de l’offset aux possibilités variables du numérique. Et il en va de même pour l’impression d’emballages alimentaires. Si ce n’est qu’il convient d’y accorder une attention toute particulière compte tenu de l’impact direct pour la santé humaine.

  • Xeikon voit de nombreux obstacles à l’utilisation du jet d’encre UV pour l’impression d’emballages alimentaires.

  • Les coûts élevés des encres et des autres consommables jouent aujourd’hui encore en défaveur du jet d’encre, d’après Mouvent.

  • Le nombre d’applications du jet d’encre augmente surtout pour les emballages secondaires, dit Domino.

  • Les presses inkjet disponibles en ce moment pour l’impression d’emballages sont, selon HP, essentiellement équipées pour des supports de type papier.

  • Sans les couches barrières supplémentaires, beaucoup d’emballages imprimés actuellement en jet d’encre échoueraient au test de migration.

Un petit tour des fabricants de presses à jet encre nous montre que, tous sans exception, proposent des possibilités pour l’impression d’emballages alimentaires. Les encres employées doivent toutefois être à l’eau. Des encres UV seraient éventuellement envisageables dans le respect des conditions les plus strictes, mais leur utilisation entraîne énormément de lourdeurs administratives. Tant que les emballeurs de denrées alimentaires n’auront pas adopté ou arrêté eux-mêmes des directives très strictes en la matière, mieux vaut éviter le procédé UV en combinaison avec les aliments. Et ce aussi bien pour les emballages primaires que secondaires.

Flint Group

Filip Weymans, VP Marketing Digital Solutions de Flint Group/Xeikon, ne voit de possibilités pour le jet d’encre sur emballages alimentaires que moyennant un séchage des encres inkjet aqueuses par faisceau électronique (EB). « Le jet d’encre UV présente le problème intrinsèque de faire appel à des photo-initiateurs, composants indispensables pour déclencher la réaction. L’industrie multiplie les tentatives pour malgré tout mettre sur le marché une encre UV ‘food safe’, mais le problème numéro un - les photo-initiateurs - reste présent, et l’on ne peut jamais garantir un niveau de séchage à 100 %. En outre, et là est la différence entre inkjet et flexo, les particules sont beaucoup plus petites, et l’encre est jusqu’à six fois moins visqueuse, pour pouvoir être projetée par les buses. À défaut, celles-ci n’arriveraient pas à l’éjecter ou se boucheraient beaucoup plus vite. Cette caractéristique fait que l’encre UV inkjet pénètre plus profondément dans le support papier. On peut comparer avec l’interaction d’une encre sur du buvard, phénomène qui ne se produit pas avec une encre UV de flexographie, plus visqueuse. Les photo-initiateurs vont ainsi se loger dans les fibres du papier, ce qui empêche leur polymérisation à 100 %. D’où un risque de migration plus important. D’un autre côté, le problème avec les matériaux synthétiques est qu’une encre UV ne peut jamais durcir à 100 % et que le risque de migration est beaucoup plus élevé à cause de la petite taille des particules. Ce qui peut être résolu avec barrières fonctionnelles, mais celles-ci augmentent sensiblement le coût. On n’a pas de solution complémentaire au conventionnel. »

Formats plus grands

Weymans voit néanmoins des opportunités pour les encres à l’eau combinées avec un format plus grand. « Sur les formats jusqu’à 500 mm, l’investissement dans la machine, la productivité et le coût continuent de pénaliser le jet d’encre par rapport au toner sec. Le toner liquide présente quant à lui le problème de la migration potentielle de l’huile d’imagerie. Le toner peut apporter une solution beaucoup plus avantageuse. Plus on élargit, de 500 mm à un voire trois mètres, plus l’avantage bascule en faveur du jet d’encre. Les coûts machine sont alors plus intéressants et la productivité offerte peut devenir rentable à l’avenir. »

Weymans ne voit encore qu’un nombre limité d’applications en jet d’encre. « On en est aux premiers pas dans le carton ondulé. Pour les emballages souples, seuls des concepts de machine ont été présentés. Il faudra donc certainement plusieurs années avant que l’on puisse parler d’une machine commercialement disponible. »

Encore du chemin à parcourir

Les concepts sont longs à développer. Voilà pourquoi les choses prennent si longtemps, dit Weymans. « On dispose déjà aujourd’hui de têtes d’impression offrant les garanties requises en termes de vitesse, de qualité et de fiabilité. Elles constituent les briques de base du développement des concepts machine. Ce qui reste à venir, ce sont des ‘barres d’impression’ de bonne largeur, des encres appropriées, un système de contrôle pour la qualité et un dispositif d’entretien pour les têtes et une barre d’impression d’une telle largeur. » Pour Weymans, la qualité constitue surtout le problème du professionnel plutôt que du consommateur.

Mouvent

Martin Van Waeyenberge, Sales & Marketing Manager Webfed de Mouvent, la branche numérique de Bobst, voit de grandes possibilités pour le jet d’encre dans l’impression d’emballages alimentaires. « L’évolution récente dans le sens des encres et couches primaires à base d’eau ouvre un énorme potentiel d’application. Celles-ci sont en effet encore rares, en dépit des possibilités techniques. Même si des solutions d’encrage étaient déjà disponibles, les appareils ne sont pas encore au niveau des exigences de ce marché en termes de tirages. La vitesse d’impression surtout est problématique. »

Barrière exigée

D’un point de vue technique, Van Waeyenberge ne voit pas vraiment de préférence pour un matériau particulier. Le jet d’encre permet d’imprimer indifféremment sur plastique souple, papier ou carton plat. « Mais il y a une grande différence selon que l’on parle d’un emballage primaire, secondaire ou tertiaire. Tout ce qui entre directement ou indirectement en contact avec de la nourriture doit être manipulé avec une extrême précaution. Les exigences en la matière sont très strictes. On ne joue pas avec la santé des gens. Les encres à l’eau sont la seule bonne solution pour du jet d’encre alimentaire. Les encres UV ont toujours besoin de photo-initiateurs, causes de migration. Si l’on veut malgré tout employer des encres UV, il faut prévoir un matériau comme barrière pour contenir les photoinitiateurs et appliquer une couche de vernis pour bloquer le tout. »

Le carton ondulé est normalement un emballage secondaire, non soumis à des exigences du point de vue de la problématique de migration. Van Waeyenberge attend de ce fait d’énormes possibilités pour ce matériau du côté de chez Mouvent, et ce compte tenu des vitesses des presses annoncées.

« Quant aux autres supports, ils sont plus sensibles aux types d’encre. Les plastiques souples, surtout pour les manchons, sont plus faciles à travailler avec des encres aqueuses. La déformation du matériau ferait craqueler des encres UV. »

Versions multiples

Le plus grand avantage du jet d’encre est la possibilité de multiplier les versions, dit Van Waeyenberge. Mais cela ne concerne pas tellement le carton ondulé, dit-il. « Les données variables et les boîtes en carton ondulé personnalisées ne constituent pas une grande opportunité selon moi, compte tenu des problèmes logistiques que cela engendrerait. La donnée ‘just-in-time est naturellement un autre avantage. » Et elle s’accorde bien avec le carton ondulé.

Les coûts élevés des encres et des autres consommables jouent aujourd’hui encore en défaveur du jet d’encre. « Et c’est là que le bât blesse : une boîte en carton ondulé est censée revenir le moins cher possible. Le volume est extrêmement important ; le prix de revient encore plus. »

Bonne qualité

Par rapport aux autres techniques d’impression, le jet d’encre a énormément progressé du point de vue qualitatif. « Les résolutions utilisées sont supérieures à celles de la plupart des presses offset. L’image d’une qualité médiocre ou acceptable’ est depuis longtemps révolue. » Et même pour les emballages de luxe, dit Van Waeyenberghe. Le jet d’encre présente un avantage par rapport aux autres procédés numériques pour les plus longs tirages. « Les presses jet d’encre sont nettement plus rapides que les électrophotographiques. »

Leurs dimensions jouent également en leur faveur, poursuit Van Waeyenberghe. « Les presses jet d’encre sont de construction plus compacte, n’ont besoin que d’un seul conducteur et reviennent donc au bout du compte moins cher que les autres technologies. »

Domino Benelux

« La flexibilité et la capacité de personnalisation intrinsèque du jet d’encre donnent davantage de possibilités à un fabricant de se différencier de la concurrence », dit-on chez Domino Benelux.

Le nombre d’applications est en forte croissance, selon Domino, mais surtout dans les emballages secondaires. « L’un des principaux points sensibles en matière d’impression d’emballages alimentaires est la problématique de la migration. » L’encre n’est d’ailleurs que l’un des paramètres importants, selon Domino. « Des facteurs comme le matériau d’emballage utilisé, les couches barrières éventuellement présentes et le type de denrée doivent également être pris en compte dans le processus global. Le procédé de production a également son importance. »

Certains matériaux ne posent aucun problème. « Des produits comme le verre, l’aluminium, les supports en PET (>36 microns) sont en général sûrs d’un point de vue alimentaire. Pour d’autres matières, il importe qu’une barrière soit présente entre l’encre et l’aliment pour limiter autant que possible, voire empêcher, une migration. »

Le carton ondulé ne constitue pas en soi une barrière adéquate contre l’encre et il doit toujours être doté d’une « couche intermédiaire » destinée à protéger l’aliment, relève Domino. « Une autre possibilité consiste à envelopper l’aliment dans un matériau faisant écran protecteur. »

Personnalisation

Les principaux avantages du jet d’encre par rapport à d’autres machines de production sont, d’après Domino, la vitesse d’impression, le besoin d’entretien limité, les possibilités de personnalisation et la flexibilité en général. « Le seul inconvénient concret du jet d’encre concerne des éléments relatifs à la sûreté alimentaire. » Un certain nombre de textes réglementaires ont été promulgués à cet égard : « Eupia, l’ordonnance suisse et la note d’orientation de Nestlé sont des références importantes pour une production alimentaire sûre. Le tout est d’être conscient que l’encre en elle-même ne dit encore rien sur l’ampleur de la migration. Ces produits résultent toujours d’une combinaison de plusieurs éléments : le processus, l’encre, le matériau d’emballage et le type d’aliment. Tout produit final doit faire l’objet de tests destinés à identifier les niveaux de migration. Ce n’est qu’ensuite que l’on pourra déterminer s’il est sûr d’un point de vue alimentaire ou non. En cas de contact direct avec la nourriture, il faut une encre 100 % alimentaire, et il n’en existe pas (encore) qui soient compatibles avec le jet d’encre. On peut ajouter des couches au complexe pour prévenir et/ou limiter la migration, mais cela aussi nécessite de tester le produit final. Le contrôle en cours de processus est lui aussi important, par exemple pour la longévité de la lampe UV. »

HP

HP prévoirait, faut-il s’en étonner, que le choix du jet d’encre va devenir monnaie courante pour l’impression d’emballages. Ce qui, selon le constructeur de presses, s’expliquerait par une combinaison de vitesse, de qualité et de durabilité. « Plus de 50 % des imprimés d’emballages sont destinés à des produits d’alimentation. On peut donc s’attendre à la longue à une hausse de la demande d’encres pour emballages qui soient sûres d’un point de vue alimentaire. »

Les presses inkjet disponibles en ce moment pour l’impression d’emballages sont, observe HP, essentiellement équipées pour des supports de type papier. Que ce soit pour imprimer soit directement sur du carton ondulé, soit sur du papier de couverture pour carton ondulé ou sur du liner sur papier, utilisable comme carton plat pour les boîtes pliantes. » Le carton ondulé est selon HP déjà largement imprimé en jet d’encre dans les cas où l’emballage primaire oppose en lui-même une barrière importante à la migration chimique. « Mais à côté de cela, les encres aqueuses conviennent aussi pour des emballages primaires ne comportant pas de couche barrière supplémentaire, comme des sachets en plastique. »

Impression à la demande

« Face aux exigences de durabilité dans le domaine des emballages en carton ondulé, la plupart des constructeurs de presses se sont tournés vers les encres UV.

HP souligne que les emballages alimentaires doivent répondre à des contraintes particulières. « Certaines ont un fondement juridique (par exemple, l’Ordonnance suisse sur les encres d’emballage), mais elles peuvent aussi venir des fabricants d’aliments ayant émis leurs propres recommandations, comme Nestlé et Mars-Wrigley’s. Ou participer de directives imposées directement aux transformateurs d’emballages. Cette limite est, selon HP, la raison pour laquelle en particulier, les encres UV actuellement disponibles sur le marché conviennent surtout pour les emballages secondaires. Moins donc pour les emballages primaires en papier. Certaines marques ont opté pour la solution la plus simple : interdire purement et simplement l’utilisation d’encres UV pour les emballages primaires. Parce que, dans ce cas, il n’est plus obligatoire de tester chaque application individuelle. »

Processus à respecter

« Certains fabricants d’encres UV ont mis le label ‘low migration’ sur leurs produits. Et ils insistent par ailleurs sur l’obligation de respecter soigneusement un mode opératoire bien déterminé en termes de vitesse, de quantité d’encre utilisée et de précaution d’entretien des équipements de séchage UV. Cette procédure est nécessaire pour prévenir le risque possible de l’utilisation d’encres UV pour la sécurité alimentaire. » HP, qui a pourtant accès à un large éventail de technologies d’encres UV, a malgré tout choisi de mettre au point une véritable gamme d’encres inkjet à l’eau pour l’impression des emballages. HP pense en effet disposer ainsi d’une solution plus robuste du point de vue de la sécurité alimentaire, autorisant une utilisation plus large pour les différentes marques, sortes et solutions emballages d’aliments, y compris les packagings primaires.

« L’impression jet d’encre s’est fortement améliorée ces dernières années. Les presses inkjet de haute qualité fournissent un résultat comparable à l’offset. Dans bien des cas, la qualité du jet d’encre est jugée égale voire supérieure à la flexo, et ce pour une comparaison à l’œil nu. »

Heidelberg

« Bien que les utilisateurs soient de plus en plus demandeurs, le jet d’encre n’est pas encore beaucoup utilisé, parce le procédé ne répond pas encore suffisamment aux exigences techniques », dit-on chez Heidelberg. « Sans les couches barrières supplémentaires censées prévenir la migration de substances indésirables vers l’aliment emballé, beaucoup d’emballages imprimés actuellement avec cette technique échoueraient au test de migration. Les applications d’emballages secondaires – sans contact même indirect avec les aliments – sont moins critiques, mais les clients et toute l’industrie FMCG en général sont devenu plus pointilleux ces dernières années sur le volet de la sécurité alimentaire. »

Heidelberg perçoit une tendance générale en faveur du jet d’encre, indépendamment du support : « La Primefire convient actuellement pour imprimer sur papier couché et sur carton. Il est clair qu’un degré plus élevé de flexibilité est appelé à ouvrir de nouveaux débouchés à l’avenir, mais nous préférons attendre que notre plate-forme soit bien implantée sur le marché avant de continuer à développer cet aspect. Nous ne voyons pas vraiment pour le moment de solution jet d’encre prête à l’emploi pour le carton ondulé, même si la demande va stimuler la poursuite du développement en ce sens. »

Stabilité

Plusieurs raisons expliquent, selon Heidelberg, que le jet d’encre soit perçu comme l’avenir de l’impression numérique. « La principale est la stabilité, c’est-à-dire la capacité à fournir une qualité d’impression identique, aussi bien sur des presses petite laize qu’en grand format. Cette technique nous permet d’imprimer directement sur le support, sans passer par un transfert susceptible d’influencer la stabilité des couleurs. Si davantage de constructeurs se mettent à vendre du jet d’encre, la grandeur d’échelle offrira un intérêt pour le développement technique qui dépassera la question du prix. Les plus grands défis pour le jet d’encre sont toujours liés aux performances des têtes d’impression, par exemple, des buses instables. »

Heidelberg reconnaît l’existence d’exigences spécifiques en matière d’impression d’emballages alimentaires. La composition des encres et des vernis doit respecter les directives en vigueur, tandis que la production doit se conformer à des normes de qualité définies (en général, les bonnes pratiques de fabrication). Chaque design d’emballage doit en outre être testé avant d’être mis sur le marché. Nos encres aqueuses qui sont utilisées dans la Primefire ont été mises au point et fabriquées pour respecter les règles les plus usuelles et les plus mondialement acceptées en matière d’emballages alimentaires. »

Juste au commencement

Par rapport à d’autres techniques, Heidelberg est d’avis que chaque procédé d’impression présente ses avantages propres. « La seule limite du jet d’encre est que nous en sommes au début d’un développement technologique. Nous avons encore beaucoup de possibilités à découvrir et de choses à apprendre. Les emballages de luxe ne sont pas un problème pour le jet d’encre, pense Heidelberg, vu ses capacités de personnalisation. Avec la baisse des tirages en hélio, la flexo voit ses chances augmenter. Nous pensons qu’à long terme, les acteurs de ce segment envisageront aussi l’utilisation du jet d’encre pour leurs applications existantes en hélio, ainsi que pour les plus petits tirages actuellement réalisés en flexo.

Erik Kruisselbrink