Imprimeurs de tous pays, unissez-vous (enfin) !

22 février 2018

Quand on se présente d’habitude comme un « oracle de l’imprimé », on doit logiquement s’attendre à être questionné à l’occasion sur « l’avenir de l’imprimerie ». La conversation, c’est bien naturel, aura tendance à se focaliser sur l’activité du demandeur. Les boîtes pliantes pour un spécialiste du cartonnage. L’imprimé en ligne pour un imprimeur Internet. Ou les produits LFP de la part d’un imprimeur grand format. Mais le fond de la question est identique : comment mon secteur se portera-t-il demain ?

  • Que quelques imprimeurs en ligne reconnaissent les signes de « l’ère de la mobilité » n’implique pas pour autant que le ciel nous tombe sur la tête. Un mouvement de rattrapage est toutefois nécessaire.

  • Important : il est indispensable de connaître et choisir le bon outil pour tout défi (logiciel).

Par « mon secteur », il y a alors toujours lieu d’entendre le segment de l’industrie graphique auquel l’interlocuteur considère appartenir. Le sort de la branche en général, nul ne s’en inquiète pour ainsi dire jamais. Sauf, assez curieusement, les grands imprimeurs en ligne. Mais même s’ils distinguent eux aussi différents segments – grand format, offset, numérique, par exemple – ils s’interrogent davantage sur la manière dont l’imprimé sera vendu dans le futur.

Sujet qui me préoccupe justement. Quel sera le statut de l’imprimé demain ? Par quelles voies sera-t-il commercialisé ? Quel canal aura la préférence du consommateur ? Autant de questions qui restent sans réponse, car il faudrait vraiment être devin. Personne ne peut estimer aujourd’hui comment les choses vont évoluer à moyen et même à court terme. Pas même votre serviteur.

D’autres sujets chauds, cela dit, devraient occuper les pensées des décideurs du secteur en 2018. Et plus encore que dans les années écoulées, ces thèmes sont appelés à influencer la manière dont l’imprimé se vendra demain.

Mobilité

D’abord et avant tout, la mobilité. (Oui, je sais ; je me répète. Mais soyez attentif à ce qui va suivre). L’an prochain, la question de la domotique (Alexa, Google Home en particulier) va prendre encore plus d’importance que ces dernières années, entraînant en même temps la croissance du « smart office ». La raison en est l’apparition sur le marché de nouveaux produits toujours plus abordables. Amazon, Google et consorts n’en ont peut-être pas tout à fait terminé avec la phase expérimentale, mais le nombre de produits que l’on peut télécommander avec son GSM ou à la voix ne cesse d’augmenter. Conséquence logique : le portable va prendre une place encore plus centrale dans notre vie, parce que les consommateurs et les clients en entreprises pourront l’employer pour encore plus de choses qu’actuellement. Il est en effet utilisé de plus en plus à des fins non professionnelles. En plus de son rôle d’éternel préposé au rappel de rendez-vous et de dates limites dans les milieux B2B, il est appelé à se fondre au sein d’une interface avec la vie réelle. Bizarre à dire peut-être, mais là n’est que la conséquence de la multiplication des possibilités disponibles. Ce qui soulève un certain nombre de considérations auxquelles les imprimeurs en ligne n’ont pas encore réfléchi. Par exemple, comment commander des imprimés avec un assistant personnel tel qu’Amazon Alexa ? Les premières tentatives en ce sens de mon équipe et moimême ont été décevantes, mais aussi à vrai dire assez cocasses. Bref : la conclusion en 2017 était que cela ne fonctionnait pas. La technique n’est pas encore suffisamment évoluée – ou disons qu’elle ne permet guère plus que l’achat verbal d’une planche de cartes de visite standardisées sur Amazon. Mais quid (et Google y travaille) une fois que la technologie de commande vocale se sera améliorée ? Quid lorsqu’elle aura conquis un nouveau statut aussi dans le monde des affaires ? BMW, dit une rumeur persistante, devrait intégrer Amazon Alexa dans ses véhicules au cours des prochains mois. Dans un premier temps, en option pour les clients professionnels qui peuvent se le permettre.

Je le vois venir. Les premiers « Saint-Thomas » ont déjà arrêté de lire voici plusieurs paragraphes. C’est bien que vous soyez toujours là, car l’histoire est exactement la même que voici dix ans avec les premiers smartphones. Ne disait-on pas à l’époque que leur pertinence pour l’imprimé était nulle ? Aujourd’hui pourtant, beaucoup de clients utilisent leur smartphone pour s’informer de la disponibilité et des prix des imprimés – en tout lieu et à toute heure. Et ils prennent une décision ensuite. Le scénario ne va-t-il pas se répéter avec la commande vocale ? Le moment est venu de réfléchir à une stratégie. Ne pensez-vous pas ?

Places de marché

Deuxième thématique, les places de marché. Oui, l’idée d’une place de marché pour l’imprimé a déjà été mise en œuvre voilà bien longtemps par des visionnaires. Mais pour qu’une telle plateforme puisse fonctionner un minimum, il faut que puisse s’exercer ce que l’on appelle un « pouvoir de marché ». Les petites places de marché peinent ainsi à concrétiser leurs promesses. Toutefois, même si cela est dur à croire, les grands prestataires de services d’impression en ligne sont appelés à jouer un rôle clé à ce niveau. Car que représente la stratégie de « coopétition » (contraction des termes « coopération » et « compétition ») de Cimpress, en fin de compte ? Rien d’autre qu’une « place de marché » qui fédère différents fournisseurs d’imprimés (certes dominés par Cimpress) sous une même « marque neutre ». Pour ce qui est des marges bénéficiaires, Cimpress conserve un visage humain comparé à Amazon. L’identité des sous-traitants de Cimpress n’en est pas moins cachée au client final. Ce qui est logique, car sa première démarche serait sans doute de s’adresser directement au fournisseur. Quoi qu’il en soit, des concepts comme Gelato (Ndlr. : gelato.com est une plateforme-réseau qui permet d’imprimer localement à partir du cloud) et autres devraient faire de plus en plus d’adeptes à l’avenir car ils sont en mesure de proposer rapidement des solutions locales et pratiquement exhaustives. L’argument du « time-to-market » pour se distinguer de la concurrence n’est de ce fait plus l’apanage des fournisseurs de biens de consommation. Les professionnels de l’imprimé devront eux aussi pouvoir en jouer.

Prototypage

Encore un sujet toujours plus d’actualité : le prototypage. Avec les nouvelles technologies, il est possible de réaliser un prototype de pratiquement n’importe nouveau concept dans un délai court et à un prix relativement raisonnable. Voire de fabriquer des produits uniques. Beaucoup de fabricants, Nike en tête, offrent déjà cette possibilité à leurs clients – pour les mordus du running, des chaussures individualisées sont un « must ». Les techniques de fabrication additive (impression 3D) sont de plus en plus présentes dans les procédures de mise au point et de test des produits. À côté de cela, l’emballage joue également un rôle. Et c’est là que les nouvelles possibilités en matière de packaging entrent en scène. Les techniques axées sur l’embellissement du produit ainsi que des applications telles que la découpe au laser ouvrent de nouvelles perspectives. Et le plus beau ? L’acheteur est prêt à payer plus ! Il est même reconnaissant de ne plus devoir faire produire de grandes quantités, ce qui lui permet d’appliquer plus aisément les principes du « Fail Fast ».

Fail-Fast

Le Fail-Fast, qui est précisément mon sujet suivant. Cette approche est entre-temps devenue plus qu’une tendance à mes yeux. J’y vois désormais comme une procédure standard dans le développement de produits, logiciels et applications de production. Plus populaire jadis sous le paradigme « essayons toujours, on verra bien », cette règle tirée de la philosophie lean trouve à présent à s’appliquer à pratiquement n’importe quel projet. Plus prosaïquement, on peut la décrire comme « la mise à l’essai rapide de nouveaux procédés pas encore totalement définis, mais qui sont implémentés de manière itérative, c’est-à-dire par expérimentation progressive permanente jusqu’à l’obtention de la solution recherchée. » L’approche trouve parfaitement à s’appliquer au développement de produit imprimé : l’entreprise peut faire réaliser un mini-tirage d’essai (par exemple d’un brand book) et en analyser l’impact avant passer commande pour une plus grande quantité. Tout qui travaille dans un environnement de production à base de flux connaît d’ailleurs la méthode, pour l’avoir pratiquée depuis des années. Avec des logiciels tels qu’Enfocus Switch, il est possible de tester facilement des étapes de production. De quoi essayer de nouveaux procédés en long et en large avant leur mise en œuvre – et savez-vous quoi, cela fonctionne superbement. Cette capacité d’essais-erreurs à peu de frais n’est toutefois pas le seul aspect associé au principe « Fail Fast ». L’approche exige aussi une nouvelle forme de « patience » de la part de l’entrepreneur. Une certaine forme d’entraînement autogène pourrait être recommandée à ceux qui souhaitent introduire cette nouvelle philosophie, car elle n’a plus rien à voir avec les anciennes méthodes (définition, mise en œuvre, contrôle, et répétition du processus).

ERP en ligne

Selon moi, l’ERP en ligne est le thème le plus important des années à venir. Pourquoi ? Parce que j’en ai vraiment plus qu’assez d’expliquer à mes clients pourquoi tel ou tel MIS ne peut pas être connecté, ou alors en partie, avec leurs systèmes. Comment se fait-il que tant de fournisseurs de MIS (ainsi que, bizarrement, l’on désigne les ERP dans le secteur graphique) ne comprennent pas qu’ils se tirent une balle dans le pied en refusant de s’ouvrir au Cloud et aux applications à base de navigateurs ? Les entreprises qui travaillent avec des « ERP en ligne » ont une longueur d’avance. Ces systèmes ne sont peut-être pas parfaits à 100 %, mais ce n’est qu’une question de temps. Passer de systèmes clients-serveurs classiques à des solutions à navigateurs n’est certes pas une sinécure. Cette transition représente toutefois une étape indispensable dans la digitalisation et elle est incontournable pour toute entreprise désireuse de s’adapter. De ce point de vue, de nouveaux produits comme Keyline montrent clairement la voie à suivre. L’ERP en ligne est en outre une condition pour…

Intercompany-Network-Production

Autrement dit, la production en réseau interentreprises.Tout un concept, vous ne trouvez pas ? Mais qui en fait ne désigne rien d’autre que la collaboration de plusieurs intervenants dans la chaîne de valeur d’un produit graphique. Rien de nouveau sous le soleil, direz-vous. La nouveauté réside toutefois dans la digitalisation de l’approche, par la mise en place, pour faire bref, d’un réseau d’entreprises qui coopèrent de manière transparente. Ce qui reste certainement un rêve pour l’industrie graphique, du moins jusqu’à un certain point. Même les grands imprimeurs en ligne ne sont pas à l’abri d’un échec, mais les technologies sont là et elles donnent leurs chances aux petites entreprises désireuses de les concurrencer. C’est que, même si les grands prestataires se plaisent à l’oublier, l’approche « à petite échelle » fonctionne aussi. Il ne doit pas toujours s’agir de mégaplateformes. Pour peu que les partenaires en devenir – par exemple, un imprimeur numérique, un offsettiste et un spécialiste du façonnage ou de l’ennoblissement – trouvent un terrain d’entente, un « réseau interentreprises » peut déjà être mis sur pied avec les plates-formes existantes. En interconnectant les processus par-delà les murs des entreprises, un tel réseau permet de tout faire plus vite : que ce soit l’estimation des coûts, la remise d’offres ou la production. Y réfléchir ne peut pas faire de mal.

Accélérez !

Avons-nous fait le tour ? Non, mais juste un détail. Force m’est de constater que l’industrie graphique se montre toujours extrêmement lente à adopter les dernières idées et intégrer les nouveaux modèles économiques. Une pusillanimité d’autant plus étonnante qu’elle se considère toujours elle-même comme très innovante. Comparé à certaines start-ups, la plupart des imprimeurs fonctionnent plutôt en « mode tortue ». Certes, une nouvelle machine est vite installée, mais le logiciel ad hoc peut se faire attendre un certain temps. Pourquoi ? Parce que beaucoup d’imprimeurs pensent encore n’avoir besoin d’aucune forme d’informatique décisionnelle (département IT interne doté de moyens de développement propres). Résultat : tout ce que l’on souhaite mettre en pratique rapidement dégénère en un rien de temps en une succession dramatique de dépassements de délais. Un mal qui, soit dit en passant, n’épargne pas non plus les grands imprimeurs en ligne. Bien qu’ils aient (la plupart du temps) davantage d’argent en caisse, leurs canaux de prise de décision se mettent à ressembler à ceux d’une administration dès que leur chiffre d’affaires dépasse les 100 millions d’euros. Dommage. Ainsi, tout qui souhaite gagner sa vie avec l’imprimé doit s’apprêter à intégrer une ribambelle de tendances et à assumer une masse énorme de travail. Encore un message de ma part : si vous n’y arrivez pas tout seul, mettez vos forces en commun. Parce que des partenaires peuvent faire davantage ensemble, tout en restant des spécialistes dans leur propre discipline. Et ils seront ainsi mieux armés pour affronter la concurrence. Imprimeurs de tous pays, unissez-vous ! 2018 est l’année rêvée pour ce faire… Sur cette note d’optimisme, recevez tous mes vœux de réussite.

Bernd Zipper