« Nous ne sommes pas les charbonnages »

19 avril 2018

Denis Geers, numéro un du groupe d’imprimerie familial Graphius, est le nouveau président de la fédération professionnelle de l’industrie graphique Febelgra. L’Est-Flandrien entend redorer l’image négative du secteur et rallier à lui d’autres organisations d’employeurs.

  • DENIS GEERS c« Le désavantage concurrentiel par rapport aux pays voisins n’est pas résorbé. » © W. RAWOENS

  • DENIS GEERS : « Beaucoup ont sonné le glas du papier il y a dix ans. » © W. RAWOENS

À nouveau printemps, nouveau président. Lors de son assemblée générale qui s’est tenue au château d’Ooidonk, à Deinze, la fédération professionnelle de l’industrie graphique belge Febelgra s’est dotée d’un nouveau numéro un en la personne de Denis Geers (40 ans). L’un des plus jeunes administrateurs de Febelgra succède ainsi à Michel Pattyn, resté six ans à la tête de l’organisation sectorielle. 2017 a de nouveau été une année de croissance pour l’industrie graphique. Son chiffre d’affaires total a crû de 2,5 %, à 2,48 milliards d’euros (hors imprimeries de journaux). Les 845 employeurs du secteur font vivre près de 10 000 personnes.

Avec Denis Geers, voilà Febelgra de nouveau pilotée par un représentant d’une entreprise familiale. L’homme est aux commandes du groupe d’imprimerie gantois Graphius en tandem avec son frère, Philippe Geers. Le groupe familial s’est imposé dans le secteur ces dernières années comme une véritable machine à consolidation. Graphius chapeaute treize imprimeries, emploie 370 collaborateurs et génère un chiffre d’affaires consolidé de 76 millions d’euros. Le groupe a fait ses premiers pas à l’international en février dernier avec le rachat de l’imprimeur français de bandes dessinées PPO Graphic.

Avez-vous dû vous faire prier longtemps avant d’accepter la présidence de Febelgra ?

DENIS GEERS. « J’ai tout de même pris le temps de réfléchir à la question. Je pense que quelque chose doit se passer dans le secteur. Mais je manque déjà de temps comme cela. À moi donc de m’organiser pour assurer cette tâche en plus. Quand on s’engage, il faut le faire correctement. »

Quels sont vos plans concernant la fédération ?

GEERS. « Je pense que nous devons convaincre toutes les entreprises actives dans le secteur graphique de s’affilier à la fédération. Febelgra doit s’adapter à la diversité du secteur. Cette multiplicité va des acteurs industriels comme Verstraete IML, à Maldegem, et ses 500 salariés, au graphiste indépendant, sans personnel. Le défi pour l’avenir va consister à développer une organisation capable d’offrir une valeur ajoutée aussi bien aux grandes entreprises qu’aux indépendants. »

Comment comptez-vous vous y prendre ?

GEERS. « Il est dommage que quelques poids lourds aient renoncé à leur affiliation à Febelgra, pensant que la fédération ne pouvait pas leur apporter grand-chose. Nous devons renverser cette tendance en travaillant dans un avenir proche avec différents pools pour les groupes-cibles. Je vois trois niveaux de service : un pool pour les imprimeries industrielles, un pool pour les entreprises de taille moyenne, qui ne disposent souvent pas d’un département RH interne, par exemple, et qui peuvent s’adresser à la fédération pour d’autres services, et un pool pour les petites structures qui emploient jusqu’à cinq personnes. Nous devons pouvoir attirer les entreprises actives dans les nouvelles technologies et applications – comme les prestataires print & sign qui impriment des panneaux, des bâches et des drapeaux.

La collaboration avec Fedustria, la fédération professionnelle de l’industrie du textile, du bois et de l’ameublement, a été un échec. Comment se fait-il ?

GEERS. « Elle n’a pas abouti pour plusieurs raisons. Nous sommes actuellement en train d’envisager d’autres possibilités. Ce qui est certain, c’est que Febelgra va converger avec d’autres fédérations sectorielles au sein d’une structure faîtière, et que nous conserverons notre identité. C’est la seule manière de concrétiser le service que les grandes entreprises attendent d’une fédération. Febelgra tourne avec un effectif de six personnes. Difficile dans ces conditions d’assurer un soutien optimal à tous nos membres dans des matières aussi bien juridiques que sociales, fiscales ou environnementales. »

Febelgra est-elle devenue trop petite ?

GEERS. « Oui, nous sommes trop petits. Notre impact sur la politique en tant que fédération sectorielle est nul. Febelgra ne représente même plus 10 000 travailleurs. Je pense que nous devons évoluer vers une fédération faîtière, associée à au moins 30 000 salariés. Les négociations sont en cours. Si nous voulons être forts dans nos relations avec l’extérieur, nous avons besoin d’une augmentation d’échelle. »

« Mon but ultime est de faire en sorte que les gens puissent de nouveau être fiers de travailler dans le secteur graphique, aussi bien en tant qu’employeur que comme salarié. Et aussi que nous ayons un afflux de sang neuf, car le bât blesse à ce niveau. Tout le monde pense que le secteur graphique est voué à une mort certaine. Rien n’est moins vrai. Nous ne sommes pas comme les charbonnages, même si cette perception persiste. Les gens ne sont pas ravis à l’idée que leurs enfants aillent travailler dans une imprimerie. »

Comment est le climat social dans le secteur ? On a vu des actions dans les imprimeries l’an dernier.

GEERS. « Le climat social est normalisé. La pierre d’achoppement était la question des primes de nuit dans le secteur graphique, lesquelles pouvaient monter jusqu’à 79 %. Les imprimeries souhaitent exploiter leur capacité de production au maximum. Ce qui n’est possible qu’avec le travail de nuit, mais celui-ci coûte très cher. Nous ne sommes pas compétitifs par rapport aux pays voisins, et certainement pas si l’on compare avec l’Europe de l’Est. Après les actions sociales de l’année dernière, nous avons conclu un accord sur la norme salariale, et la discussion sur la prime de nuit a été logée dans un groupe de travail. Nous nous réunissons une fois par mois dans l’espoir de parvenir à un consensus en juin. »

Les coûts salariaux restent une question épineuse dans le secteur. Le taxshift sort-il suffisamment ses effets ?

GEERS. « Le taxshift du gouvernement fédéral a certainement aidé, mais il ne suffit pas à rattraper le handicap salarial historique. Les syndicats refusent toute discussion sur ce point. Leur leitmotiv : ‘les employeurs ont déjà eu le taxshift’. Mais ce n’est pas si simple. Notre désavantage concurrentiel par rapport à nos voisins n’est pas résorbé. Les coûts salariaux en Belgique sont 17 ou 18 % plus élevés qu’en France. C’est beaucoup. »

Le secteur graphique est en contraction depuis quelques années déjà. A-t-on touché le fond ?

GEERS. « Je pense que oui. La baisse n’est plus aussi marquée que pendant les années 2007 à 2014. Nous avons été confrontés simultanément à la digitalisation et à la crise économique. Ce qui a provoqué un énorme malaise dans le secteur. L’équilibre entre print et online est en train de revenir et l’économie se porte bien. La plupart des entreprises graphiques envisagent de ce fait positivement l’avenir. N’empêche que beaucoup de consolidations vont encore suivre. »

Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie graphique en Belgique ?

GEERS. « Nous sommes, selon moi, à la fin d’une tendance négative. Beaucoup ont sonné le glas du papier il y a dix ans. On ne les entend plus. Le papier est de nouveau reconnu à sa juste valeur. Nous le remarquons pleinement au sein du secteur, même si c’est sous une autre forme. Ce qui s’imprime encore sur papier aujourd’hui est souvent beaucoup plus beau et mieux fini. Ce ne sont plus les tirages gigantesques de jadis, mais je ressens de nouveau de l’enthousiasme. Nous le constatons aussi dans les investissements qui se font dans le secteur. Ils ont passé la barre des 100 millions d’euros pour la deuxième année consécutive. »

Quel est votre plus grand défi pour les années à venir ?

GEERS. « L’image de notre secteur doit s’améliorer. La guerre des talents fait rage chez nous comme ailleurs. Ceux que nous souhaitons recruter, nous ne les trouvons pas auprès des jeunes diplômés des écoles d’arts graphiques. Ils préfèrent s’orienter vers d’autres secteurs. Nous assurons nous-mêmes des formations sur le terrain en collaboration avec le VDAB. Nous devons beaucoup plus miser sur la formation en alternance comme en Allemagne. À nous de susciter auprès de la jeunesse l’envie de s’engager dans notre secteur créatif et hautement technologique. Beaucoup pensent que les imprimeurs rentrent le soir chez eux avec les mains barbouillées d’encre. Ce n’est plus le cas depuis longtemps. »

Le secteur est-il suffisamment innovant pour renverser la situation ?

GEERS. « Nos entreprises sont en permanence dans l’innovation. Nous avons dû nous réinventer. La plupart des imprimeries fonctionnent avec un webshop, ce qui nécessite des informaticiens. Il n’est plus possible de faire la différence uniquement avec l’imprimé. Voici quinze ans, le patron d’une imprimerie consacrait 80 % de son temps à l’imprimé. Aujourd’hui, c’est encore 15 %. Beaucoup d’attention doit être accordée au service autour de cet imprimé : boutique en ligne, logistique, gestion du stock, etc. »

Cet article est paru précédemment dans le magazine Trends.

Kurt De Cat, Trends

Denis Geers (40)

Copropriétaire et CEO du groupe graphique familial Graphius depuis 2004

Membre du comité stratégique de la FEB

Avocat au barreau de Gand de 2001 à 2004

Master en droit à l’Université de Gand