IA : quand les machines décident

24 mai 2018

IA : le petit monde du marketing automatisé ne jure plus que par ces deux lettres. Avec l’Intelligence Artificielle, les données sont analysées, et les décisions prises, sans plus aucune intervention humaine. Ce qui peut aller jusqu’à la composition de la communication, imprimée ou non. Pieter Strouven (Selma) et Niko Nelissen (Blendr) en ont parlé dernièrement auprès de la BAM (Belgian Association of Marketing).

  • © iStockphoto: Zapp2Photo

  • Niko Nelissen de Blendr.

«Le battage médiatique autour de l’IA est énorme aujourd’hui », dit Pieter Strouven, de Selma.ai, à Anvers. « Neuf posts sur dix sur LinkedIn parlent d’intelligence artificielle, et tous disent quelque chose de différent. L’IA s’appuie fortement sur l’apprentissage automatique ou machine learning. On pourrait le comparer avec une boucle de rétroaction, un système en autocorrection permanente. » Strouven oppose le concept d’intelligence à celui de « stupidité ». « La stupidité, c’est faire toujours la même chose et en espérer à chaque fois une autre issue. L’intelligence consiste à adapter son approche sur la base de ce qui a été obtenu de manière à tendre toujours plus vers le résultat souhaité. Ce processus est automatisé pour gagner en efficacité. »

IA est un mot en vogue, qui sonne plus sexy qu’apprentissage machine, dit Niko Nelissen, de Blendr, à Gand. « Le champ de l’IA est très vaste. Son objet est l’automatisation de tâches répétitives exécutées par l’humain. Dans l’industrie, il s’agit par exemple d’automatiser davantage encore le travail à la chaîne, notamment à travers la reconnaissance des produits non conformes. »

En IA, le logiciel imite le fonctionnement du cerveau. « Le cerveau fonctionne avec des neurones et de petites impulsions. On parle de réseaux neuronaux. L’ordinateur opère de la même manière. Avec des réseaux de petits points reliés les uns aux autres. L’input est le ‘big data’. Les données rentrent dans le réseau, et un résultat final en ressort », poursuit Nelissen. C’est ce qu’on appelle le « deep learning », ou apprentissage profond. Un exemple classique est l’expérience « chien & chat ». On nourrit d’abord la machine de milliers de photos de chiens et de chats, et à partir d’un certain moment, l’ordinateur décide de manière autonome, sur une base de reconnaissance et d’algorithmes, si la photo suivante représente un chien ou un chat. Nelissen : « Seul l’humain pouvait y arriver jusqu’ici. Le logiciel apprend comme nous, et il va résoudre le problème. Le principe peut aussi s’appliquer pour des photos d’illustration d’imprimés : le système va trouver la bonne photo pour une annonce publicitaire dans une banque d’images. Chercher un cliché qui convienne, avec la bonne atmosphère, est une opération fastidieuse. Une firme a toutefois développé une IA capable d’effectuer ce genre de recherches d’après des critères esthétiques. Avant, seul un être humain le pouvait. »

Applications

Les marketeurs peuvent déjà recourir à l’IA pour mieux profiler leurs cibles. « Beaucoup d’applications aident déjà les spécialistes du marketing à prendre de meilleures décisions », dit Pieter Strouven. « Le but est d’adresser le message juste à la bonne personne, via le bon canal et au bon moment. Les marketeurs travaillent encore beaucoup au feeling pour décider qui aura droit à quelle campagne. Aujourd’hui, un folder sera adressé à un groupe dont l’on connaît l’historique et dont l’on sait ce qu’il a rapporté. Par exemple, les individus de plus de 35 ans vivant en zone urbaine. C’est-à-dire ceux dont l’on pense qu’ils constituent le meilleur public-cible. L’IA va étayer tout cela avec des données et fournir des suggestions pour faire au mieux. » Exemple, cette agence de voyages en Flandre qui réalise régulièrement des campagnes d’e-mails. « Avant, toutes les campagnes était adressées à tout le monde, mais on n’en voulait plus. Le but était désormais d’atteindre uniquement les personnes pour lesquelles le contenu était le plus pertinent. Le système allait prédire si quelqu’un allait ou non cliquer sur le lien fourni en fonction de ce qu’il ou elle avait reçu auparavant, et de ce à quoi il ou elle avait ou non réagi. » Plus les prévisions sont justes, plus le système gagne en intelligence. Si cela ne se passe pas comme prévu, le système procède automatiquement aux adaptations. Strouven : « L’IA est une puissante technique, capable d’apprendre rapidement des patterns et d’exploiter rapidement cette connaissance. Sans IA, un marketeur ou un analyste devrait examiner tous les résultats pour chaque destinataire après chaque action marketing, et tenter de discerner où des améliorations sont possibles. Avec une IA, tout se fait automatiquement, de manière continue et à la vitesse de l’éclair. L’IA peut traiter une grande quantité de données de manière autonome, et faire ensuite des suggestions au marketeur. »

Segment of one

Niko Nelissen dit que l’IA fonctionne aussi pour affiner les profils d’utilisateurs et améliorer la segmentation des groupes. Exemple de Nelissen : partir de la visite de sites Web dans le secteur automobile et prévoir quand l’internaute (dans ce cas-ci sur la base de son adresse IP s’il ne s’est pas fait connaître à l’annonceur sous ses nom et adresse) va véritablement montrer un intérêt. Le but est alors de lui adresser une communication pertinente au bon moment - ni trop tôt ni trop tard - et même estimer quand il va y avoir achat.

Le système peut même composer lui-même le contenu de la communication. Nelissen : « Il existe dès à présent une IA qui, en s’appuyant sur une analyse de textes et des courriers électroniques échangés, est capable d’afficher le texte parfait dans la publicité adressée au destinataire. Le contenu correspond à la personne avec laquelle vous communiquez. L’IA aide à rédiger une réponse : le texte parfait pour ce seul destinataire. Ce que l’on appelle, en termes de marketing, le « segment of one ». Autrement dit, la personnalisation du texte, des images et de l’offre jusqu’au niveau de l’individu. L’IA peut ainsi aider au choix du canal (e-mail ou papier), du moment, de la fréquence, de la promotion, de la photo… » Toutes ces choses sont automatiquement générées à partir des données.

Strouven évoque ainsi les Meilleurs prix de Colruyt, l’une des rares entreprises à la pointe dans ce domaine. « Tout le monde ne reçoit pas le même dépliant ; les promotions sont différentes. Si vous achetez un produit proposé en promo, le système le sait. Il cherche les liens entre l’achat et le folder », dit-il. Les grands retailers dans notre pays ont pris de l’avance dans la collecte des données à travers la carte de fidélité.

Plus efficace

L’IA permet de rendre les actions marketing non seulement plus précises, mais aussi plus efficaces. Après une campagne de communication, les enseignes peuvent voir qui s’est rendu sur un point de vente ou non, d’après sa carte de fidélité. Elles peuvent aussi en déduire quel contenu a le mieux fonctionné dans la communication. Pieter Strouven : « Ce retour est nécessaire car une campagne représente aussi un investissement. Il peut s’agir de coûts purement marketing, comme les frais d’impression et d’envoi. Mais on investit aussi dans la bonne volonté des clients dont l’on sollicite l’attention. À force de recevoir trop de messages non pertinents, ils finissent par décrocher. On pourrait dire que, dans l’idéal, on ne communiquerait plus qu’avec les gens pour lesquels les campagnes engendrent une plus-value. Envoyer un folder onéreux à quelqu’un qui achète peu, ou à quelqu’un qui n’achètera probablement jamais, n’a guère de sens. » On peut aussi voir si quelqu’un vient sporadiquement, qu’il y ait eu folder ou non. Strouven : « L’optimum serait de communiquer exclusivement avec ceux chez qui le fait de recevoir la campagne fait la différence entre achat et non-achat. On les aide en quelque sorte à franchir le pas. Le rapport coûtsbénéfices est alors meilleur. »

Strouven prend en exemple l’approche d’un prestataire télécom. « On voulait contacter via le call center uniquement les personnes susceptibles d’être intéressées par une offre cross-sell. On a ainsi cherché les gens qui avaient le plus de chances de réagir d’après l’analyse de leur comportement d’achat et de leurs données clients. Ce qui a raisonnablement bien marché : le fait de ne pas appeler 30 % de la liste a permis de maintenir un taux de conversion de 90 %. D’où une sérieuse économie. Cela fonctionne aussi pour les mailings : 100 brochures au lieu de 1 000, c’est autant moins de dépensé en impression et en frais de port. »

Si l’intelligence artificielle vient en aide au marketeur, ce n’est naturellement pas sans conséquence pour sa manière de travailler et celle de ses partenaires. Niko Nelissen dit que l’agenda classique du marketing va changer. Certaines périodes fixes subsisteront (fêtes de fin d’années, Pâques), mais la fréquence et les quantités vont s’adapter. Fini d’envoyer tout à tout le monde. Ce sera désormais un peu plus à l’un qu’à l’autre. Et à d’autres moments. Ce qui implique aussi des variations de quantités et de volumes pour les imprimeurs et les routeurs. Et l’imprimeur ne sait, pour ainsi dire, plus ce qu’il imprime : le système détermine qui reçoit quoi…

Data-driven

Qui veut se lancer dans l’intelligence artificielle doit disposer de données. Qui plus est, il faut aussi que ces données soient bonnes ET qu’il sache en faire bon usage. Ce qui n’est pas toujours le cas, ainsi que l’a montré le dernier sondage annuel de The House of Marketing. Il en est ressorti que 69 % des entreprises ne sont pas data-driven. Près de la moitié des marketeurs ont avoué ne pas encore avoir adopté une bonne stratégie de données. Pas loin de 50 % encore concèdent que leurs différentes sources de données ne sont pas reliées entre elles. 44 % évoquent le manque de temps comme frein à la mise en place d’une bonne stratégie de données. 37 % manquent du personnel nécessaire pour regrouper et analyser les données. 35 % disent ne pas avoir suffisamment de compétences en interne et 26 % pointent la mentalité de silo entre les départements comme principal obstacle.

Pour Karolien Vanhelden, de The House of Marketing, le problème n’est souvent pas le manque de données, mais plutôt leur surabondance combinée à des méthodes d’analyse déficientes. À cet égard, The House of Marketing a cherché à savoir à quels types d’analyses les marketeurs soumettent leurs données et de quels instruments ils disposent à cet effet. La plupart des marketeurs analysent le passé (31 %). Un quart s’intéresse à l’aspect diagnostique (que peuvent-ils faire avec les données dans leurs contacts avec les consommateurs). 15 % voient le caractère prédictif.

Ad van Poppel

Lunch Garden: marketing automation

Lunch Garden mise à fond sur le marketing automatisé depuis 2014, ce pour quoi l’enseigne utilise Actito for Retail : «…un instrument marketing très efficace, qui nous permet de bien connaître le client et de mieux suivre son comportement et ses préférences. Étant en mesure de savoir ce qu’il aime et s’il est satisfait, nous pouvons établir et maintenir un dialogue permanent avec lui. » Le marketing automatisé présente plusieurs avantages selon Lunch Garden : « Il nous permet de savoir qui sont nos clients, ce qu’ils attendent de nous et comment nous pouvons (continuer à) les satisfaire. Nous pouvons aussi mesurer l’impact de nos activités et donc en calculer le retour sur investissement. Ce qui nous permet aussi de monitorer nos actions de manière continue et de les corriger là où cela est nécessaire. »

Lunch Garden met la marketing automation en œuvre surtout en ligne, et envoie régulièrement des e-mailings à ses clients de manière automatique. « Le moment où nous le faisons dépend de leur cycle-consommateur individuel. Nous avons activé une quinzaine de scénarios préécrits dans Actito, lesquels sont intégrés dans ces mailings. Nous adaptons le ‘look & feel’ de nos e-mails à nos catégories de clients spécifiques. »

La marketing automation est utile aussi pour le marketing classique. « Nous pouvons faire dépendre le style et le message de notre campagne d’affichage sur abribus du type de « public Lunch Garden » qui vit dans l’environnement de cet arrêt de bus. Nous arrivons aussi à savoir, grâce à notre base de données, quels codes postaux sont les plus pertinents pour une campagne en toutes-boîtes. »