Les marques aiment-elles toujours autant Facebook ?

13 septembre 2018

Ebranlés par l’exploitation frauduleuse de leurs données, les utilisateurs se méfient davantage de Facebook. Mais qu’en est-il des annonceurs ? Placent-ils toujours leur entière confiance dans le plus puissant des réseaux sociaux ? Petit tour d’horizon du marché belge pour prendre le pouls du capital sympathie de Facebook.

Convoqué devant le Congrès américain, puis devant le Parlement européen, le PDG de Facebook s’est excusé pour avoir échoué à protéger la vie privée des utilisateurs dont les données personnelles ont pu être utilisées à des fins politiques.

C’est un fait évident : le scandale Cambridge Analytica a secoué le géant Facebook. Mais l’a-t-il affaibli pour autant ? Certes, du côté des utilisateurs du plus grand réseau social (2,3 milliards de membres dans le monde), les révélations ont estompé l’enthousiasme béat qui enrobait Facebook jusqu’ici. Mais du côté des annonceurs, la crise passagère semble déjà rangée au placard des mauvais souvenirs. Du moins en apparence…

Flash-back. En 2014, la société britannique Cambridge Analytica accède à quelques milliers de profils facebookiens grâce au téléchargement d’une application ludique de tests psychologiques. L’effet « ricochet « lui permet rapidement de siphonner les données des « amis des amis « et de s’emparer d’un trésor de big data qui sera réutilisé à des fins publicitaires. Au total, ce ne sont pas moins de 87 millions d’utilisateurs (dont environ 61.000 Belges) qui sont ainsi touchés, à leur insu, par une exploitation frauduleuse de leurs données. Cerise sur le gâteau : grâce aux informations collectées comme l’âge, le sexe, les études, la profession, les centres d’intérêt et les statuts likés, Cambridge Analytica plonge également Facebook dans un scandale politique qui finira par conduire son CEO devant le Congrès américain. L’enjeu des débats : l’exploitation frauduleuse des données détenues par le réseau social a-t-elle, oui ou non, favorisé la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle de 2016 ?

«Business as usual»

Suite à l’audition surréaliste de Mark Zuckerberg à Washington, qu’en est-il du ressenti de l’affaire en Belgique ? Y a-t-il véritablement eu un « avant » et un « après » Cambridge Analytica sur le marché belge ? Autrement dit, les annonceurs sont-ils devenus plus méfiants à l’égard de Facebook parfois présenté comme un colosse aux pieds d’argile ? « Pour l’instant, c’est plutôt business as usual, temporise d’emblée Bernard Cools, chief intelligence officer à l’agence média Space. Personnellement, je dirais que Facebook est davantage empêtré dans un scandale de relations publiques que dans un véritable scandale marketing. Cela pourrait changer si un nombre conséquent d’utilisateurs belges quittaient soudainement le réseau social, par exemple 10 % du nombre total (soit 700.000 personnes sur 7 millions de membres actifs en Belgique, Ndlr), mais ce n’est visiblement pas le cas. Facebook jouit d’un effet de masse qui plaît aux marques et surtout d’une énorme hype qui fait que, aujourd’hui, pour un annonceur, il faut absolument passer par des acteurs digitaux comme Facebook ou Google pour ne pas apparaître comme un has been aux yeux des marketers ».

Devenus incontournables dans une stratégie média classique, les deux consonnes des GAFA - Google et Facebook - trustent désormais à eux seuls près de 80 % des investissements publicitaires nets dans le digital en Belgique, répartis majoritairement entre Facebook pour le social media, Google pour le search (les liens sponsorisés via les moteurs de recherche) et sa filiale YouTube pour la vidéo. Bref, la force de frappe de ces géants américains fait mouche auprès des annonceurs, ce qui n’exclut toutefois pas quelques remises en question lorsqu’un scandale lié aux données de consommateurs surgit ici ou là.

Des annonceurs inquiets

Cofondateur de l’agence de stratégie digitale Mountain View, Cédric Cauderlier pointe justement les craintes de quelques annonceurs exprimées au lendemain du scandale Cambridge Analytica : « Nous avons eu pas mal de questions de la part de nos clients à propos de leur présence sur Facebook, précise-t-il. Ils nous ont demandé si tout ce qu’ils faisaient par notre intermédiaire était bien légal et s’ils n’étaient pas en danger. Nous avons dû rassurer ces annonceurs parce que, il faut bien le reconnaître, ils étaient complètement dépassés par les événements, en raison notamment d’une désinformation de la part de certains médias. Donc, c’est vrai qu’il y a eu un peu de panique, mais aujourd’hui, aucune des marques pour lesquelles nous travaillons n’envisage de quitter Facebook. Il faut dire que, d’un point de vue rapport prix-qualité de ciblage, ce média est hyperconcurrentiel ».

Même son de cloche à l’Union belge des annonceurs (UBA) où l’on qualifie Facebook de « média incontournable « sur la scène publicitaire. Comptant environ 320 membres dans ses rangs (dont 85 % du Top 100 des annonceurs en Belgique), l’UBA est pourtant restée très discrète lorsque l’affaire Cambridge Analytica a éclaté, contrairement à son équivalente française. Outre-Quiévrain, l’Union des annonceurs (UDA) a en effet demandé officiellement des explications à Facebook après cette vaste polémique autour de l’utilisation abusive des données privées de nombreux consommateurs. Certains annonceurs français ont même décidé de suspendre momentanément leurs investissements publicitaires sur le réseau social, le temps d’avoir des explications de la part du géant américain. Selon un communiqué de l’UDA, « Facebook a donné des explications sur les causes de cette fuite de données et a présenté les mesures correctives qu’il a commencé à mettre en œuvre, notamment un audit lancé sur l’ensemble des applications présentes sur la plateforme ». En réaction, l’association française a réclamé d’obtenir les résultats et conclusions de cet audit dont l’objectif est de garantir la protection des données personnelles.

Le GDPR comme boussole

Si, chez nous, l’Union belge des annonceurs n’a pas réagi à l’affaire Cambridge Analytica via un communiqué officiel, son media manager n’en reste pas moins attentif à l’évolution de la situation, surtout dans ce contexte particulier où le futur règlement européen sur les données personnelles - le fameux GDPR qui entrera en vigueur le 25 mai prochain - s’apprête à bouleverser le paysage médiatique : « Nous mettons plus que jamais le consommateur au centre des préoccupations de toute initiative marketing, qu’elle soit digitale ou pas, insiste Karim Debbah de l’UBA. Nous recommandons donc aux annonceurs de travailler dans le respect des réglementations du GDPR et nous veillons aussi à ce que l’outil Facebook soit en accord avec cette législation ».

Du côté de Facebook Belgique, précisément, c’est comme à l’accoutumée « panique et langue de bois ». Traduction : surtout ne pas répondre aux questions des journalistes et se retrancher prudemment derrière les déclarations du grand vizir Mark Zuckerberg. On aurait pourtant aimé savoir si le nombre d’utilisateurs belges sur Facebook avait baissé depuis la révélation du scandale Cambridge Analytica, si les marques actives sur la plateforme en Belgique s’étaient manifestées pour obtenir certaines « garanties » et si le chiffre d’affaires publicitaire avait été affecté par cette affaire. A la place, le country manager du réseau social botte en touche, renvoyant à une déclaration de cinq lignes tirée d’une conférence de presse américaine du CEO de Facebook où il déclare en gros « ne pas penser que cela ait eu un impact significatif sur ses affaires ». Dont acte.

Déménagement juridique

Comptant cinq millions d’annonceurs sur sa plateforme mondiale, Facebook se la joue aujourd’hui profil bas pour préserver au mieux son business. Le réseau social s’est d’ailleurs offert récemment de nombreuses pages de pub dans la presse écrite pour expliquer les changements qui vont s’opérer sur la protection des données de ses utilisateurs avec l’arrivée prochaine du GDPR. Plus contraignant, ce texte de loi offre aux citoyens de l’Union européenne une plus grande maîtrise de leur vie privée sur le Web et impose davantage de transparence aux GAFA, sous peine d’être lourdement sanctionnés sur le plan financier.

Voilà sans doute pourquoi Facebook a également opéré un habile « déménagement juridique » pour 70 % de ses utilisateurs non européens. Jusqu’ici, ses membres résidant en Asie, en Afrique, en Océanie et en Amérique latine étaient en effet signataires des conditions d’utilisation de Facebook Ireland Limited. Pour éviter que ce 1,5 milliard de personnes ne tombe désormais sous la nouvelle protection des données de l’Union européenne (plus exigeante que celle prévue par le droit américain), Facebook va donc changer ses conditions d’utilisation pour que tous ces membres non européens dépendent désormais du siège global de Facebook situé dans la Silicon Valley et continuent à être bombardés, comme avant, de publicité hyper-ciblée.

Impact sur investissement

Sur le continent européen, les utilisateurs pourront en revanche choisir, point par point, à quelle sauce publicitaire ils voudront être mangés, ce qui va forcément réduire quelque peu l’efficacité de ciblage facebookienne. Certains annonceurs s’en inquiètent déjà, à l’instar de Jean-Pierre Lutgen, CEO de la marque horlogère Ice-Watch. « Si la législation est plus contraignante et que la publicité devient dès lors moins ciblée sur Facebook, cela pourrait avoir un impact sur mes investissements médias, confie le Manager de l’Année 2017. Le réseau social pourrait perdre son avantage concurrentiel et je pourrais alors me rabattre sur les médias traditionnels. »

L’année dernière, Jean-Pierre Lutgen a en effet consacré une grosse partie de son budget communication - soit 3 millions d’euros - sur les réseaux sociaux, mais le CEO d’Ice-Watch se dit aujourd’hui prêt à revoir sa stratégie si, d’aventure, Facebook se révélait moins performant en matière de ciblage publicitaire. Une attitude attentiste partagée par bon nombre d’annonceurs…

Frédéric Brebant, Trends - Tendances