La presse numérique entame un nouveau chapitre

25 octobre 2018

25 ans exactement après son introduction, la technologie d’impression numérique professionnelle en couleur est toujours en plein essor. Le rythme est peut-être moins soutenu qu’initialement prévu, mais le potentiel reste énorme. Nouvelles Graphiques profite de ce jubilé pour dresser un état des lieux : où en sommes-nous et à quoi faut-il s’attendre ?

  • © Messe Düsseldorf, Constanze Tillmann

  • © Messe Düsseldorf, Constanze Tillmann

  • © Messe Düsseldorf, Constanze Tillmann

  • © Messe Düsseldorf, Constanze Tillmann

Le 7 septembre 1993, l’Ipex ouvre ses portes à Birmingham, permettant à l’industrie graphique de jeter un coup d’œil sur son avenir : tant Indigo que Xeikon profitent de la plateforme offerte par l’événement pour montrer pour la première fois leurs presses numériques couleurs au public. Alors que la DCP-1 de Xeikon fait ses débuts chez Agfa sous la livrée de la Chromapress, l’E-Print 1000 capte beaucoup d’attention dans le théâtre fermé d’Indigo. Benny Landa y répète la formule restée célèbre : « Tout ce qui peut devenir numérique le sera – et l’imprimé n’y fait pas exception ». On ne se fera pas faute de la lui rappeler une fois qu’il sera apparu que la révolution attendue ne prenait pas tout à fait le cours prévu. Les deux parties présentent surtout leur presse numérique comme une alternative pour les petits tirages offset (Landa revendique le terme « tirage de 1 »). Les « données variables » ne sont encore proposées que comme une fonction supplémentaire en option.

Aujourd’hui en 2018, soit un quart de siècle après que les premières presses numériques furent dévoilées, l’industrie graphique peut compter sur une grande diversité de techniques d’impression – et sur une multitude plus grande encore de fournisseurs. Les fondateurs d’alors sont toujours actifs : Indigo, devenue filiale d’HP, Benny Landa désireux de refaire la révolution avec la nanographie, et Xeikon, qui, à côté de sa technologie à toner, entend également s’affirmer ostensiblement dans le domaine du jet d’encre.

Selon le rapport de tendances globales Drupa, paru en avril dernier – soit exactement deux ans après l’édition de 2016 du salon et donc deux ans aussi avant la prochaine en 2020 – 65 % de toutes les imprimeries dans le monde possèdent des presses offset et 47 % disposent (aussi) de presses feuilles numériques couleurs à toner. 29 % utilisent des systèmes d’impression à toner noir et blanc, 24 % ont déjà installé un système grand format à jet d’encre (feuille à feuille et/ou à rouleau) et 20 % évoquent aussi des presses flexo.

Hausse des chiffres de tirages en numérique

Les presses numériques prennent de plus en plus de place dans les imprimeries, constatent les observateurs de Drupa : le volume produit sur des presses feuilles à toner couleur est celui qui affiche la plus forte croissance, avec un solde positif de 23 % (c.-à-d. : les répondants ont été 23 % plus nombreux à signaler une augmentation de volume plutôt qu’une baisse). Pour les systèmes grand format, ce chiffre est de 12 %, contre 10 % aussi bien pour l’offset que pour la flexo. Une évolution qui mérite une mise en contexte : alors que le marché en général connaît des délais de livraison toujours plus courts et un nombre de commandes en constante augmentation, on assiste à une baisse des chiffres de tirage sur les presses conventionnelles, mais à une hausse de ceux-ci sur les systèmes de production numériques.

Autre constat intéressant : la part des presses numériques dans le chiffre d’affaires global des plus de 700 imprimeries interrogées par les analystes de Drupa augmente lentement mais sûrement. Ainsi en 2013, 23 % des imprimeurs sondés déclaraient encore que le numérique représentait plus d’un quart de leur résultat total. Quatre ans plus tard, près de 30 % de tous les répondants sont dans le cas. De très fortes disparités sont toutefois à noter entre les diverses disciplines : les entreprises qui se consacrent à « l’imprimé fonctionnel » (ex. textile, papier peint et céramique, mais aussi électronique imprimée et impression 3D) ont massivement recours à des techniques d’impression numérique (60 % déclarent que leur chiffre d’affaires est à plus de 50 % « digital »). 42 % des imprimeries commerciales génèrent plus de 25 % de leur chiffre d’affaires avec des presses numériques, mais les imprimeurs d’emballages ne sont que 12 % dans le cas.

Investissements en presses

L’enquête Drupa met en avant la confiance en l’avenir des imprimeries du monde entier, avec en corollaire, une forte disposition à investir. Mais ce sentiment varie aussi par segment : si les imprimeries commerciales mettent une presse numérique feuille à toner en haut de leurs priorités (suivie par une presse offset feuille et un système grand format à jet d’encre), les imprimeurs d’emballages continuent de donner la préférence à l’offset feuille. Un glissement est toutefois perceptible aussi dans ce dernier secteur : si encore un peu moins d’un quart des imprimeries d’emballages proposaient une technique d’impression numérique en 2013, elles étaient plus d’un tiers à le faire en 2017. Le secteur est en outre lui-même diversifié : plus de 10 % des emballages sont imprimés en numérique chez 13 % des producteurs d’emballages souples, contre 15 % des fabricants de caisses et boîtes en carton et 18 % des transformateurs d’étiquettes. Un bouleversement est toutefois peut-être imminent dans le dernier segment de marché évoqué. La fédération professionnelle Finat a publié début septembre sa dernière étude de marché, d’où il ressort que pour la première fois en 2017, le nombre de presses numériques installées en Europe a dépassé celui des conventionnelles.

Importance cruciale

Selon le rapport « Finat Radar », près de 300 presses à étiquettes numériques ont été placées l’an dernier en Europe, dépassant en nombre celui des installations conventionnelles. Le niveau d’investissement de ces presses numériques est pour une bonne part (60 %) compris dans une fourchette de 250 000 à 750 000 euros. Le montant est inférieur à 250 000 euros dans 10 % des cas et il dépasse le million pour 8 % des installations.

On s’attend à ce que la tendance dans l’industrie de l’étiquette se poursuive, car 45 % des répondants à l’enquête Finat disent avoir l’intention d’investir dans une presse numérique d’ici un an et demi. Leur préférence va au jet d’encre plutôt qu’au toner ou aux hybrides.

Selon un producteur d’étiquettes sur quatre, la capacité de proposer des techniques d’impression numérique est cruciale pour arriver à satisfaire les donneurs d’ordres. Ils ne sont que 4 % à penser que cela n’est « pas important ».

Le numérique donne le ton

Les fournisseurs de papier, de presses et de têtes d’impression continuent de développer leurs technologies et de les renouveler, et ils essaient ce faisant de non seulement suivre les tendances de marché actuelles mais aussi d’en impulser de nouvelles. Selon le rapport de tendances Drupa, le temps chez les fournisseurs est au beau fixe : ayant dépassé les prévisions concernant leur propre santé financière en 2017, leur confiance dans l’économie s’est encore accrue.

Les salons professionnels constituent souvent un bon baromètre – même si l’Ipex n’y jouera plus aucun rôle, l’organisateur britannique s’étant résolu à définitivement tirer la prise après plusieurs éditions infructueuses. En Italie, le Grafitalia a été ressuscité après cinq ans sous la nouvelle appellation « Print4All ». Lors de cet événement qui s’est tenu aux Foires de Milan en présence de plus de 350 exposants, les presses numériques ont tenu le haut du pavé. Aucune machine offset n’était en vue – sauf à se contenter d’une version virtuelle, comme chez Koenig & Bauer et aussi Komori. Pas d’offset à signaler non plus chez Heidelberg, mais bien la nouvelle Versafire EV cinq couleurs à toner – basée sur la Pro C7200X de Ricoh (qui proposait aussi des démonstrations de ce récent système lors du salon italien). D’autres constructeurs de presses conventionnelles s’étaient également parés de leurs atours numériques : chez Uteco, la rotative jet d’encre « Gaia » introduite l’an dernier entrait en action plusieurs fois par jour pour une démo. Le constructeur italien Omet avait profité du salon milanais pour surprendre le public avec une primeur de la presse à étiquettes hybride Omet Xjet annoncée dernièrement – une combinaison en ligne d’une presse flexo X6 d’Omet et d’une unité jet d’encre Tau 330 RSC de Durst.

Premières à Print4All

Print4All a en outre accueilli plusieurs premières. Xerox montrait, par exemple, pour la première fois l’Iridesse Production Press au grand public. Cette presse six couleurs dispose d’un toner argenté en plus des quadris (CMJN), ainsi que d’un toner transparent intervenant pour la réalisation d’effets métalliques. (La machine est un développement signé Fuji Xerox, la coentreprise mise sous pression cette année par des velléités de fusion. La fronde de certains actionnaires a finalement forcé le départ de Jeff Jacobson, numéro de Xerox, et le calme semble momentanément revenu depuis.) L’entreprise belge Printsalon, filiale de Burocad Group, a fait savoir dernièrement qu’elle était la première au Benelux à installer l’Iridesse sur son site de production Printsalon Malines.

Une autre offre intéressante était aussi celle du partenaire italien de Xerox, M.C.Systems, qui a mis au point avec BiancoDigitale un module à toner de remplacement, permettant d’adapter une imprimante Xerox C60 ou C70 pour qu’elle puisse imprimer aussi de l’argenté, du doré et du blanc. Au salon, elle montrait même un prototype d’une Xerox Versant, intégrant deux fois le doré, plus l’argenté, le blanc et un toner transparent. Cette alternative intéressante est déjà disponible auprès des concessionnaires Xerox de quelques pays européens, mais pas encore en Belgique.

Presses à étiquettes

Labelexpo Americas s’est tenu fin septembre aux États-Unis, directement suivi début octobre par le salon graphique Print 18. Après l’édition européenne de Labelexpo, à Bruxelles en septembre 2017, aucune grande surprise technique n’était à signaler. Xeikon a montré sa technologie et plateforme à jet d’encre Panther et annoncé par ailleurs un nouveau toner « QB » pour toutes ses presses de production d’étiquettes et d’emballages à toner, lequel permet de se conformer aux exigences futures en matière de sécurité alimentaire. Et pendant que Xeikon présentait encore sa presse à étiquettes petite laize X3 à la puissance supérieure, avec la version de 520 cm de la CX500 (sortie ensuite avec succès de son bêtatest chez le Néerlandais Altrif ), une solution d’entrée était dévoilée pour ce marché aux États-Unis avec « Label Discovery ». HP Indigo a révélé les noms des premiers utilisateurs de la GEM, annoncée en 2017, qui ouvre la voie à de nouvelles techniques d’ennoblissement (dorure). Quant à Konica Minolta, elle a pu célébrer une étape importante dans son activité étiquettes : la vente de la 250e presse toner petite laize numérique AccurioLabel 190.

À noter également, la présence de Mouvent (le pilier numérique de Bobst), qui misait encore l’an dernier à Bruxelles sur l’industrie de l’étiquette avec une plateforme jet d’encre révolutionnaire. La firme se reconcentre depuis lors surtout sur le marché du textile. Canon, qui exposait également, a annoncé à l’été vouloir prendre pied sur le marché de l’étiquette avec la presse à jet d’encre UV LabelStream 4000.

Promesses tenues

Certaines promesses faites par le passé méritent un rapide bilan. Kodak a en tout cas concrétisé l’introduction de la plateforme « NexPress Max », avec l’installation directe de deux exemplaires chez l’imprimeur en ligne néerlandais Fotofabriek. Ricoh a continué, comme promis, à développer sa gamme jet d’encre et a ainsi lancé la Pro VC70000 avec de nouvelles encres : la primeur européenne va à Zalsman aux Pays-Bas, cette même imprimerie offset qui avait été la première à installer la VC60000 en 2014. Depuis cette installation jet d’encre, l’entreprise a triplé le chiffre d’affaires de ses imprimés fabriqués en numérique (de la production de livres à des mailings entièrement pilotés par les données). Celui-ci représente désormais 30 % du total, dit son directeur Herman Verlind : « Et ce pourrait bien être 50/50 en 2020. »

La société de Landa a bénéficié à l’été d’une injection financière de 300 millions de dollars de la part d’investisseurs, et ses presses nanographiques commencent tout doucement à être au point, ce dont témoigne la première installation européenne chez l’Allemand Edelmann. Une première presse Landa entrera aussi en service en début d’année en Grande-Bretagne, où Route One Print installera une S10P avec tambour de retournement.

Perspectives d’avenir

Chez Canon, le lancement de la Voyager, presse feuille B2 7 couleurs à jet d’encre de qualité photographique annoncée pour 2018, a été postposé : des échantillons d’imprimés ont peut-être été distribués pendant Print 18 en octobre, mais la machine est toujours « en développement ».

Une autre promesse dont on n’entend plus beaucoup parler non plus depuis 2016 est la presse feuille hybride (offset/jet d’encre) VariJet 106, qui devait être codéveloppée par Koenig & Bauer et Xerox. Le projet est toutefois toujours en vie : lors du salon FachPack organisé fin septembre à Nuremberg, en Allemagne, Koenig & Bauer a encore qualifié la VariJet 106 « d’avenir de l’impression numérique d’emballages » (mais le logo « Powered by Xerox » était absent des photos de la presse qui ont été fournies). Et l’ex-KBA avait d’autres nouvelles à communiquer : avec la presse feuille jet d’encre CorruJet, elle a désormais le marché du carton ondulé dans son collimateur.

Innovation en jet d’encre

On aura une première occasion de cartographier les développements actuels dans le domaine du jet d’encre lors des Hunkeler Innovation Days qui se tiendront en Suisse au début de l’année prochaine. Même si cet événement bisannuel s’intéresse surtout aux systèmes rotatifs d’impression et de finition, Hunkeler semble aussi prudemment intéressée par le marché du feuille à feuille. On a appris en juillet que l’entreprise va aussi reprendre à son compte la vente et le SAV des équipements de façonnage DocuTrim de l’Allemand Müller.

Si le jet d’encre n’est pas encore en tête des priorités des entrepreneurs sur le marché graphique de l’emballage (cf. le rapport de tendances Drupa évoqué supra), leur intérêt croît malgré tout rapidement. Une récente étude de marché de Smithers Pira prévoit pour le jet d’encre une croissance en valeur de 9,4 % en glissement annuel, de 60 milliards d’euros en 2018 à 94 milliards d’euros en 2023 pour le monde entier – et ce alors que l’industrie graphique dans son ensemble est promise à une croissance modeste de 0,8 %.

Ed Boogaard

POD Awards 2000 : bataille bruxelloise

Nouvelles Graphiques a pris l’initiative des POD Awards en 1999 : « Nous voulions aider l’industrie graphique à développer un nouveau business avec l’impression numérique. Et comment mieux le faire qu’en montrant au marché de beaux exemples d’applications réussies ? » En pleine préparation de la deuxième édition, et à l’approche de la « Drupa numérique » de 2000, Alain Vermeire, rédacteur-en-chef du magazine, conçut le dessein de donner la parole à la fois à Benny Landa, numéro un d’Indigo, et à Alfons Buts, CEO de Xeikon. Ce fut un succès – même si la « bataille de Bruxelles » rêvée entre les deux concurrents ne fut pas sans générer son lot de tensions en coulisses. Vermeire : « La soirée fut à marquer d’une pierre blanche. »

L’histoire de ce « choc bruxellois » est à lire en intégralité sur PastPrintFuture.com. Ce site Web, initiative de Xeikon qui fête ses 30 ans cette année, publie une série étendue d’articles et d’interviews consacrés aux 25 ans de l’impression numérique.